À la recherche de la terre sacrée : les leçons holistiques de l’agriculture régénératrice

Récemment, j’ai eu le privilège de participer à la première rencontre générale annuelle de Régénération Canada, un organisme dédié à faire croître le mouvement de l’agriculture régénératrice. Quelle joie ce fut d’être en compagnie de gens si chaleureux et passionnés et de découvrir cette approche si pratique et profonde pour entrer en relation avec la vie de la terre. Et c’est sans surprise que, plus je comprends ce mouvement, plus j’y vois de ressemblance avec mon propre travail où j’invite les gens à traiter leurs organisations et leurs communautés comme si elles étaient des écosystèmes vivants.

Ce que j’ai appris, c’est que l’agriculture conventionnelle augmente les rendements à court terme mais que, ce faisant, elle épuise la fertilité du sol, ce qui nécessite ensuite de plus en plus d’interventions artificielles et coûteuses. Le pire dans tout cela, c’est que les méthodes de l’agriculture conventionnelle mènent à une longue liste de problèmes qui la rendent non durable; des problèmes qu’on pourrait ultimement qualifier de catastrophiques, incluant l’érosion des sols, la diminution de la qualité nutritionnelle de notre nourriture, et le relâchement d’une grande quantité de carbone dans l’atmosphère.
(Voyez-vous la ressemblance entre cette réalité et le monde du travail conventionnel, de type commandement et contrôle, trop souvent toxique?)

En revanche, l’agriculture régénératrice se concentre sur la culture de la santé et de la biodiversité naturelles du sol et sur la régénération de ce qui a été dégradé. Maintenant que la science en a découvert davantage au sujet du sol, de sa composition et de ses besoins, un certain nombre de fermiers ont commencé à travailler avec les capacités naturelles de la vie, plutôt que contre elles. Ils sont ainsi capables de contrer les effets néfastes de l’agriculture conventionnelle tout en maintenant – fait à souligner – des rendements élevés.

Comme nous l’explique un passionné: « Ce sont les organismes qui vivent dans le sol qui permettent aux plantes de s’épanouir : les bactéries, les champignons, les protozoaires, les nématodes, les mites, les collemboles et oui, ces laboureurs de la nature que sont les vers de terre. Ces organismes, ainsi que d’autres, que nous nommons collectivement « la vie du sol », se nourrissent de la matière organique présente dans le sol et, en y combinant les minéraux, la convertissent en vitamines, en hormones, en substances anti-maladies et en nutriments dont les plantes ont besoin pour croître » [traduction libre].

Afin de permettre une meilleure compréhension, Ethan Roland de Terra Genesis propose une comparaison avec l’agriculture biologique. En voici quelques extraits :

1. L’agriculture régénératrice émerge d’un paradigme différent de celui de l’agriculture biologique. Ce paradigme pourrait s’appeler « Améliorer la capacité », alors que celui de l’agriculture biologique consisterait en général à « Faire moins de dommage ».

2. L’agriculture régénératrice est plus holistique, plus inclusive et expansive que l’agriculture biologique, particulièrement dans les domaines de la justice sociale et culturelle. En théorie, une ferme pourrait être « certifiée biologique » et opprimer les gens qui y travaillent, tout en conservant le statut « biologique ». Il en irait autrement en agriculture régénératrice.

3. Le biologique est défini par une liste de critères techniques, et surtout par quoi « ne pas faire » conformément au paradigme du « faire moins de dommage ». On peut penser par exemple à « ne pas utiliser d’engrais synthétiques, ne pas utiliser d’OGM ». L’agriculture régénératrice travaille pour sa part à partir d’un ensemble de principes qui visent à donner libre cours au potentiel intrinsèque de tout système d’agriculture.

4. L’agriculture biologique utilise un ensemble préétabli de pratiques et de standards. L’agriculture régénératrice quant à elle est basée sur des principes d’amélioration et de renforcement de processus (naturel/écologique et humain/social de design/prise de décision) et sur des résultats observables (amélioration de multiples dimensions de la vie, du capital social et culturel).

(Ici encore, pouvez-vous voir le parallèle avec les perspectives et les approches émergentes dans le monde du travail, telles que l’auto-organisation, la résilience, l’agilité, qui sont tous des concepts relatifs aux systèmes vivants?)

À la rencontre de Régénération Canada, la directrice au développement durable chez Co-op Coffees, Monika Firl, m’a parlé des résultats spectaculaires que l’un de ses producteurs de café a constatés avec l’agriculture régénératrice. Voici ce qu’elle écrit dans son blog :

Oscar Omar Alonzo Aguilar dans sa plantation de café au Honduras

« Au cours de cette récolte, Oscar obtenait déjà de sa plantation des rendements de plus de cinquante quintaux par hectare de café biologique, équitable et de grande qualité. Ce n’est pas seulement le fait qu’Oscar obtienne de si bons rendements qui m’a épatée, mais, c’est qu’il ait été capable de le faire au pire de la crise de la rouille orangée du caféier, alors que tout autour, les fermes voisines tant de type naturel que conventionnel étaient extrêmement, voire complètement dévastées, et qu’au même moment, des centaines de millions de dollars étaient dépensés pour faire la promotion d’une vaporisation encore plus intensive de fongicides et pour se préparer à faire la “sale mais nécessaire” guerre à la rouille orangée du caféier (Hemileia vastatrix). Oscar, lui, avait recours à un plan simple mais intensif de renforcement des systèmes naturels » [traduction libre].

Monika m’a aussi raconté sa propre conversion sur un ton d’émerveillement et de ravissement : « Depuis que je comprends mieux comment fonctionnent les sols, j’ai une relation différente avec notre petite parcelle de terrain dans le jardin communautaire. Ma façon de marcher sur le sol est différente. La façon dont je me sens et ce qui se passe dans mon esprit quand j’arrose sont différents : je n’arrose pas la plante, j’arrose les microorganismes! Et ce sont eux qui font le travail de nourrir mes légumes! » [traduction libre].

« C’est ainsi que je veux aider les gens à se sentir dans leurs organisations » [traduction libre], lui dis-je. Qu’ils aient un sens de l’émerveillement, de participer à quelque chose de précieux, de vivant et qui soit au-delà de notre compréhension complète. Un sentiment de révérence et de responsabilité. Un sens de l’intendance et du soin.

Tel que je l’écris dans The Age of Thrivability (L’Ère de l’épanouissement): Dans nos organismes et nos communautés, l’intendance n’est pas tant un rôle ou un titre mais plutôt un engagement à prendre soin des conditions fertiles nécessaires, en partant du point de vue de la révérence envers la vie, dans chacun de nous et entre nous, ainsi que du potentiel transcendant que nous pourrions exprimer ensemble. Ainsi, l’objet de notre intendance, c’est la plénitude de l’habileté intrinsèque d’un système à s’épanouir, son potentiel d’épanouissement.

En fait, ceci rejoint la vision élargie du mouvement de l’agriculture régénératrice. Comme l’écrivent Ethan Roland Soloviev et Gregory Landua dans leur article Levels of Regenerative Agriculture :« L’agriculture profondément régénératrice ne peut exister que si elle est entrelacée avec une vibrante culture de la régénération. Ceci inclut les chansons, les histoires, les mythes, les rituels, les aliments, les cérémonies et les musiques qui transforment l’agriculture d’une activité économique fonctionnelle en une communauté agricole spirituellement riche et émotionnellement satisfaisante. »

« Pour entrer dans l’ère de l’épanouissement », comme je l’écris aussi, « nous devons nous voir plus pleinement dans le rôle actif d’intendant des processus de la vie tout en étant nous-même partie d’un monde vivant plus vaste. Avec cette vision plus générale, nous pouvons voir que nos organisations ont le potentiel d’être des endroits où nous sommes nourris par nos relations et par des opportunités de contribuer et de développer nos talents; où nous pouvons être appréciés par les gens et les lieux; où nous pouvons expérimenter la beauté, la plénitude et la guérison; où nous pouvons grandir en sagesse les uns avec les autres, avec la conviction qu’il s’agit là du chemin le plus direct vers l’action efficace; et que tous ces aspects sont justement les raisons pour lesquelles nous nous rassemblons. En effet, étant aujourd’hui trop souvent un milieu de travail toxique, l’organisation est sur le point de se transformer pour devenir le temple sacré de notre époque» [traduction libre].

Dans pratiquement tous les domaines de notre vie, nous sommes confrontés à un choix : soit de continuer sur le chemin conventionnel de l’aliénation de la vie malgré la dévastation inévitable où nous conduit cette voie, soit de tracer un nouveau chemin, mieux aligné avec la vie, avec toutes ses promesses et tout son potentiel. Quel que soit l’endroit où nous nous rassemblons pour fournir un effort commun, que ce soit dans une ferme, une usine, une firme de développement de logiciels ou une famille, nous pouvons – et en fait, nous devons – le cultiver comme étant la terre fertile, et peut-être même sacrée, de notre appartenance au sein de toute la vie.

 

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le site Web de Michelle Holliday le 23 mai, 2018. Michelle est une conseillère et grande amie de Régénération Canada. Elle est consultante et auteure du livre The Age of Thrivability.