Une semaine sur une ferme laitière régénératrice

Caroline Lavoie fait partie de l’équipe de Régénération Canada. Elle est Chargée de projet pour les Fermes Laitières Engagées, un projet de transition climatique pour la filière laitière québécoise, en collaboration avec General Mills et Logiag. Elle est aussi impliquée dans la ferme laitière biologique familiale située au Bas-St-Laurent.

 

La délégation québécoise

En novembre 2019, je me trouvais de l’autre côté de la planète, à Yandoit Farm, au milieu de la campagne australienne. Je faisais partie d’une cohorte composée d’une vingtaine d’éclectiques venu·e·s apprendre pendant deux semaines les concepts et applications de la permaculture (et les joies du camping printanier). De ces quatorze intenses journées de formation, je suis ressortie la tête pleine d’inspiration, d’idées et de projets à transposer sur le lopin de terre qui attendait mon arrivée quelques mois plus tard au Québec. En dépit de mon enthousiasme, persistait au fond de moi un malaise : comment conjuguer, dans mon cœur de fière descendante d’une lignée de cinq générations d’agriculteur·rice·s, la permaculture et ses principes à la production laitière et l’élevage moderne?

La vie ayant plus d’un détour dans son sac, voilà que presque exactement quatre ans plus tard, je me retrouve dans l’État de New York pour assister à un cours en production laitière régénératrice offert par la Soil Health Academy. L’objectif est d’en apprendre plus sur les pratiques d’agriculture régénératrice applicables au secteur de la production laitière afin d’alimenter notre projet de Fermes Laitières Engagées au Québec, raison pour laquelle je suis accompagnée de Pascal Viens de la Ferme Vimo et Julianne Audette, agr. de l’équipe agronomique de Logiag.

 

L’adéquation avec le modèle de production

Dès le moment où j’ai posé les pieds chez Eric et Jamie Zeihm, propriétaires de la ferme hôte de la formation, j’ai su que je me trouvais sur une ferme qui opère dans le modèle de production prédominant. En effet, mis à part les différences sur le plan des contrats d’approvisionnement, cette entreprise, tout comme l’ensemble des fermes laitières québécoises, mise sur le volume, la productivité et la technologie pour assurer sa rentabilité.

En effet, High Meadows of Hoosick est une exploitation laitière certifiée biologique composée d’un troupeau de 260 vaches et de 100 sujets de relève. Des investissements importants en infrastructure ont été effectués pour loger les animaux dans une étable à stabulation libre avec une salle de traite Dairymaster Swiftlo Swing 16. La ferme cultive 300 acres (dont 260 sont des pâturages) et 600 acres sont loués pour la production de fourrage et le pâturage des génisses. L’objectif des propriétaires est de continuer à optimiser la portion des terres en pâturage et d’utiliser les groupes d’animaux comme les vaches taries, taures et génisses pour stimuler la régénération des prairies (“relever des terres”) et en venir à ne plus devoir intégrer des cultures annuelles dans la rotation. Eric considère même la possibilité de traire les groupes en fin de lactation une fois par jour afin de leur permettre d’accéder à des parcelles plus éloignées du bâtiment d’élevage.

De prime abord, il est facile de penser que la motivation qui sous-tend les objectifs de l’entreprise soit principalement de nature environnementale. Cependant, Eric affirme que l’utilisation optimale des pâturages est garante de la santé financière de son exploitation et de l’atteinte des indicateurs de performance exigés dans le cadre de son contrat d’approvisionnement avec la compagnie qui achète et transforme son lait. Les propos d’Eric sont certainement matière à réflexion dans le contexte économique actuel.

 

Les installations de High Meadows of Hoosick

 

Le bonheur est dans… une prairie diversifiée

Au sein d’une ferme laitière se trouvent deux systèmes bactériens dont l’activité, voire la symbiose, doivent être stimulés : le sol et le rumen de la vache (le premier compartiment de l’estomac antérieur des ruminants qui a fonction d’accumuler une quantité très importante de nourriture avant la rumination et constitue une chambre ou cuve de fermentation).

Historiquement, la luzerne fût sélectionnée comme plante fourragère par excellence pour sa capacité à sécher rapidement. Or, la grande majorité des fermes laitières nord-américaines ont graduellement opté pour des méthodes de conservation misant sur la fermentation à des taux d’humidité plus élevés. Il serait donc actuellement possible et bénéfique de favoriser une meilleure diversité au champ pour inclure d’autres espèces de légumineuses, de graminées et même des herbacées. En effet, l’implantation d’une prairie plus diversifiée contribue à un meilleur équilibre azote/carbone dans le sol et à une ration moins élevée en protéines pour le troupeau, ce qui favorise une meilleure santé du rumen de la vache.

 

Et la génétique dans tout ça?

Un animal qui est en mesure de progresser et d’assurer sa reproduction dans un système aux apports alimentaires limités, excellera dans un environnement enrichi. En ce sens, si la forme détermine la fonction, il faudrait revaloriser et choisir la capacité de reproduction des sujets comme premier critère de sélection génétique. La fertilité d’une vache laitière est signe de longévité (et de rentabilité) dans nos troupeaux. Or, la tendance actuelle fait primer la conformation et les performances laitières, ce qui a contribué à l’augmentation du poids des vaches laitières, particulièrement celles de race Holstein.

Selon une étude de Lactanet, les besoins de maintenance corporelle des vaches de race Holstein ont sans cesse augmenté depuis la fin des années 1990, ce qui signifie que les rations alimentaires des troupeaux sont de plus en élevées, augmentant de surcroît les coûts en alimentation des fermes laitières. Repenser la sélection génétique dans nos troupeaux laitiers laisse entrevoir des opportunités de diminuer les besoins alimentaires et les superficies en culture, en plus d’améliorer la longévité des troupeaux et la santé financière des fermes laitières.

 

Une question de contexte

Je termine cet article avec la phrase qui m’a le plus marquée dans la semaine : Il ne faut pas que notre contexte devienne une excuse pour ne pas s’améliorer. Au nord du 49e parallèle, quand il est question de changer nos pratiques agricoles, la tendance est à l’évocation de nos conditions climatiques ou encore des réglementations environnementales plus contraignantes pour justifier une forme de statu quo. Or, l’expérience vécue à la ferme High Meadows of Hoosick me porte à croire qu’il est actuellement possible – et qu’il sera sans doute prochainement nécessaire – de réévaluer ce que notre contexte peut nous offrir en production laitière et de mettre en place des pratiques agricoles favorisant la santé des sols, le bien-être animal et la viabilité économique de nos fermes.

Et depuis ce voyage chez nos voisin·e·s du Sud, je commence à croire sincèrement que mon héritage agricole en production laitière peut sans doute se conjuguer aux principes de régénération des écosystèmes.

 

Les vaches sortent au pâturage après la traite