Depuis le milieu du 20ème siècle, la tourbe est l’amendement de base des jardinier·ère·s amateur·e·s, des pépiniéristes commerciaux et des agriculteur·trice·s. Cependant, ces dernières années, il est apparu que l’utilisation généralisée de la mousse de tourbe pouvait nuire à nos écosystèmes.
Cet article explore le besoin urgent de continuer à soutenir les efforts de régénération des tourbières et présente six alternatives renouvelables qui peuvent aider les agriculteur·trice·s et les jardinier·ère·s à maintenir des sols en santé tout en préservant les précieux écosystèmes des tourbières.
Mais d’abord, qu’est-ce que la tourbe ?
La tourbe est composée de matière organique en décomposition, provenant principalement d’espèces de sphaignes. Elle se forme dans des zones humides et marécageuses connues sous le nom de tourbières.
La tourbe est très appréciée en jardinage et en agriculture pour sa capacité exceptionnelle de rétention d’eau et sa texture légère et aérée, ce qui en fait un substrat idéal pour la germination et la croissance des plantes. Son faible coût et sa grande disponibilité en ont fait un choix populaire pour les mélanges de terreau, les substrats de germination des semences, ainsi que pour les inoculums et les engrais.
Les tourbières fournissent des services écosystémiques essentiels tels que la filtration de l’eau et la recharge des nappes phréatiques, et abritent de nombreuses espèces de flore et de faune menacées. La valeur économique de ces services écosystémiques est considérable.
Les tourbières jouent également un rôle essentiel dans le cycle du carbone. Bien qu’elles couvrent moins de 5 % de la surface terrestre mondiale, les tourbières stockent près d’un tiers du carbone du sol, soit deux fois plus que la biomasse forestière mondiale.
Il s’agit également de l’une des formes les plus stables de carbone du sol. Un quart des tourbières de la planète se trouvent au Canada, soulignant une opportunité significative pour le Canada de réduire les émissions de carbone en réduisant à la fois la dépendance à la tourbe et en augmentant les efforts pour régénérer les tourbières.
Les problèmes liés à la récolte de la tourbe
Pour récolter la tourbe, il faut assécher les tourbières, libérant de vastes quantités de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) dans l’atmosphère, contribuant ainsi au changement climatique et transformant les tourbières d’un puits de carbone en une source de carbone.
La perturbation des tourbières déstabilise également les écosystèmes fragiles qui y résident. Il peut se passer mille ans avant qu’une tourbière perturbée ne se reconstitue naturellement, si bien que la mousse de tourbe est considérée comme une ressource non-renouvelable. Cependant, au cours des dernières décennies, des progrès significatifs ont été réalisés en matière de régénération des tourbières. Les chercheurs ont appris à replanter les mousses à l’aide de machines agricoles pour restaurer les tourbières à l’échelle du paysage. Régénération Canada a organisé une session du Symposium Sols Vivants sur le thème de la régénération des zones humides en 2021.
Bien que la régénération des tourbières soit encourageante, l’utilisation intensive de la tourbe dans l’agriculture et l’horticulture n’est pas durable.
« La plupart de nos cultures commencent par la semence et aucun système alimentaire ne peut être véritablement régénérateur s’il est basé sur des ressources non-renouvelables. »
– Rosina Rodighiero, diplômée en agriculture et systèmes alimentaires durables de l’université polytechnique de Kwantlen.
Encourager un changement : Alternatives à la tourbe
Conscients des effets néfastes de l’exploitation de la tourbe, certains pays se mobilisent. Le Royaume-Uni, par exemple, prévoit d’interdire certains produits contenant de la tourbe d’ici 2027, avec une interdiction complète prévue pour 2030. Bien que la conversation sur la mousse de tourbe n’ait pas encore abouti à des interdictions ou des réglementations au Canada, encourager dès maintenant les consommateur·trice·s à se détourner de la tourbe pourrait amorcer des discussions dans un avenir proche.
Trouver localement des mélanges de terreau sans tourbe prêts à utiliser peut s’avérer difficile. Gail Winters, membre de Régénération Canada, recommande celui-ci, qui se trouve en Ontario. Une autre option consiste à mélanger soi-même son terreau.
Dans cette optique, nous vous partageons six substituts renouvelables à la mousse de tourbe, proposés par des membres de Régénération Canada, qui peuvent vous aider à créer un jardin ou une ferme plus régénérateur·trice :
1. La fibre de coco
La fibre de coco est fabriquée à partir de l’enveloppe extérieure des noix de coco, un sous-produit de l’industrie de la noix de coco. Il s’agit probablement de la meilleure et de la plus courante des alternatives à la tourbe de sphaigne actuellement disponibles sur le marché.
Certaines études ont démontré que les cultures végétales poussent de manière similaire, voire mieux, dans les mélanges à base de coco que dans ceux à base de tourbe. Le cocotier peut être traité en différentes tailles, de la poussière à l’écorce. Son prix est également abordable et il est largement disponible pour les jardinier·ère·s amateur·e·s et les horticulteur·trice·s. La tourbe de coco peut donc facilement remplacer la tourbe de sphaigne.
Avantages :
● Rétention de l’eau et aération : La tourbe de coco retient bien l’humidité et assure une meilleure aération.
● pH neutre : Contrairement à la tourbe de sphaigne, la tourbe de coco a un pH neutre, ce qui lui permet de convenir à un plus grand nombre de plantes.
● Renouvelable : Elle utilise un déchet issu de la récolte des noix de coco.
À prendre en considération :
● Impact sur l’environnement : La transformation et le transport de la coco peuvent être néfastes pour l’environnement, car la coco doit être transportée depuis des régions tropicales. Néanmoins, le cocotier est un sous-produit renouvelable de la récolte de noix de coco, qui sert déjà à la fabrication de produits alimentaires et de fibres, et il permet donc de valoriser un matériau.
2. Le compost
Le compost, également appelé « l’or noir », est un matériau riche en nutriments et en microbes qui constitue un excellent complément aux mélanges de terreau.
Avantages :
● Riche en éléments nutritifs : Fournit des éléments nutritifs et favorise l’activité microbienne bénéfique, qui aide à décomposer la matière organique et à libérer lentement les nutriments au fil du temps.
● Ajoute de la matière organique
● Abordable et accessible : Peut être acheté dans des jardineries, chez des agriculteur·trice·s, ou fabriqué à la maison. Certaines décharges municipales proposent également du compost à un coût faible ou nul pour les citadin·e·s.
À prendre en considération :
● Options maison :
○ Les bacs à compost de jardin sont largement disponibles et faciles à gérer. Certaines villes offrent même des remises ou des rabais sur les bacs à compost, alors vérifiez le site web de votre ville avant d’acheter.
○ Lombricompostage
○ Bioréacteur à compost Johnson-Su
Paige a acheté ce bac de compostage récemment et l’adore.
Le lombricompost peut également être utilisé dans les recettes de terreau et constitue un excellent moyen de transformer les déchets de cuisine en nourriture pour les plantes. En fait, Paige a ajouté quelques vers de son lombricomposteur maison (qu’elle appelle affectueusement ses « vers de placard », voir la photo à gauche) à son composteur d’arrière-cour pour les mois les plus chauds.
Pour nos ninja du compost, vous pourriez également être intéressé·e·s par la construction de votre propre bioréacteur à compost Johnson-Su dans votre jardin, afin de produire vous-même une grande quantité de compost à dominante fongique.
Application Les mélanges contenant du compost et de la fibre de coco sont souvent bons pour le stade de germination des semences. Essayez de mélanger un rapport de 3:1 entre la fibre de coco et le compost et ajustez en conséquence. |
3. Le sable
Un terreau de bonne qualité doit retenir l’humidité tout en étant bien drainant. Ces caractéristiques permettent aux semis d’avoir accès à l’oxygène et à l’humidité, deux éléments nécessaires à la germination et à une croissance réussie. L’ajout de sable grossier aux mélanges de terreaux assure un bon drainage et une bonne aération, et peut constituer un substitut adéquat à la tourbe à ces égards.
Avantages :
● Bon drainage : Améliore le drainage du sol et prévient l’engorgement.
● Aération : Améliore l’aération du sol, ce qui est vital pour un développement sain des racines.
À prendre en considération :
● Le poids : Le sable est beaucoup plus lourd que la tourbe, ce qui peut être un inconvénient pour les grands pots ou les contenants qui doivent être déplacés.
● Stérilité :
○ Le sable horticole est généralement stérile, mais il est plus cher et plus difficile à trouver.
○ Le sable de construction est une option moins chère, mais il n’est généralement pas stérile et peut donc abriter des bactéries.
○ Le sable de jeu est une option abordable qui est souvent tamisée pour détecter les impuretés et parfois nettoyée ou stérilisée. Le sable de jeu et le sable de construction sont tous deux disponibles dans la plupart des quincailleries.
Application Pour les légumes, essayez un rapport de 2:2:1 entre la fibre de coco, le compost et le sable. |
4. Le biochar
Le biochar est une ressource renouvelable riche en carbone fabriquée à partir de la combustion de matières organiques en l’absence d’oxygène. Le biochar peut être fabriqué à partir de bois dur, de bois tendre, de coques de riz, de déchets verts, d’écorces d’arbres, de canne à sucre, etc.
Dans les mélanges de rempotage, le biochar est une alternative efficace à la mousse de tourbe et ne nécessite pas nécessairement d’ajustement du pH. Il a également été démontré qu’il améliore la teneur en éléments nutritifs des mélanges de rempotage par rapport à la mousse de tourbe.
Avantages :
● Rétention des éléments nutritifs : Améliore la rétention des éléments nutritifs dans le sol, améliorant ainsi la fertilité.
● Durable : Fabriqué à partir de déchets organiques tels que des copeaux de bois, des résidus de culture et d’autres biomasses.
● Santé du sol : Favorise l’activité microbienne bénéfique et la structure du sol.
À prendre en considération :
● Nécessite un chargement préalable : Avant d’utiliser le biochar, il faut le charger en le mélangeant à du compost et le laisser reposer pendant une dizaine de jours. Cette étape prévient le biochar d’épuiser prématurément les nutrients du terreau pendant la croissance des plantes. Un biochar correctement conditionné optimisera la rétention des éléments nutritifs et la santé du substrat de culture.
Le biochar semble aussi être un substitut prometteur à la mousse de tourbe en tant qu’agent porteur d’inoculum ou d’engrais. Dans ce cas, l’engrais ou l’inoculant est mélangé au biochar, puis les graines sont enrobées dans le mélange.
Bien que le biochar soit plus cher que les alternatives à la mousse de tourbe, il est largement disponible et peut être acheté dans de nombreuses quincailleries.
Application Le biochar peut être incorporé à un taux de 2 à 10 % dans les 6 premiers pouces de votre mélange de terreau maison. |
5. Le terreau de feuilles
Lorsque vous ramasserez les feuilles à l’automne prochain, pensez à en conserver quelques sacs pour votre tas de compost. Le terreau de feuilles, fabriqué à partir de feuilles partiellement compostées, peut atteindre une consistance similaire à celle de la mousse de tourbe en l’espace de six mois à un an.
Le terreau de feuilles diffère du compost en se composant uniquement de feuilles et en étant dominé par les champignons, alors que les matières vertes utilisées dans les systèmes de compostage classiques favorisent la croissance bactérienne.
Il a été démontré que le terreau de feuilles a une performance similaire à celle de la tourbe lorsqu’il est utilisé en combinaison avec le compost dans les milieux de démarrage des semences. Il s’agit donc d’une excellente alternative économique à la tourbe. Cette option est particulièrement avantageuse pour les petits agriculteur·trice·s et les jardinier·ère·s. La condition essentielle pour ce substitut est la patience.
Avantages :
● Améliore la structure du sol : Améliore la texture du sol et la rétention d’eau.
Ajoute de la matière organique.
● Favorise l’activité microbienne bénéfique
● Durable : Valorise les feuilles mortes, une ressource facilement disponible.
● Ressource renouvelable gratuite
À prendre en considération :
● Temps de production : La production prend de six mois à un an, ce qui nécessite une planification à l’avance.
La création d’un terreau de feuilles est simple. Ramassez les feuilles tombées au sol et placez-les en tas, dans un sac ou dans un bac, en veillant à ce qu’elles restent humides. Avec le temps, les feuilles se décomposent en un matériau riche et friable.
Scott Hortrop, membre de Régénération Canada, utilise des bioréacteurs Johnson-Su modifiés pour produire du compost et du terreau de feuilles. À la fin du cycle de compostage de 19 mois, Scott produit un extrait de compost qu’il applique à ses cultures dans les sillons ou par pulvérisation foliaire. Plus tôt dans le cycle, les feuilles atteignent un état de décomposition qui peut être utilisé comme alternative à la mousse de tourbe.
Application Dans les jardins, le terreau de feuilles peut être mélangé à la couche supérieure de 6 à 12 pouces de terre pour améliorer la texture du sol. |
6. Le paillis de chanvre
Le paillis de chanvre, également connu sous le nom de paille de chanvre, est une alternative commerciale à la tourbe. Il est fabriqué à partir des résidus de la récolte de chanvre.
Les fibres de chanvre sont solides, se décomposent lentement et ont une grande capacité de rétention d’eau. Grâce à sa capacité de rétention d’eau, la paille de chanvre serait particulièrement efficace pour soutenir les plantes en période de sécheresse.
Le compost de chanvre, un mélange de paille de chanvre et de fumier de bovins, favorise une croissance des plantes nettement supérieure à celle des mélanges de terreau conventionnels à base de tourbe.
Dans le monde des alternatives à la tourbe, le chanvre semble être une option plus récente sur le marché et pour l’instant plus chère Des études complémentaires sont en cours pour mieux comprendre le potentiel de remplacement de la tourbe par la paille de chanvre en horticulture.
Avantages :
● Rétention de l’eau : Capacité élevée de rétention d’eau, ce qui permet de soutenir les plantes pendant les périodes de sécheresse.
● Durabilité : Les fibres solides se décomposent lentement, ce qui apporte des avantages à long terme à la structure du sol.
À prendre en considération :
● Coût : Le paillis de chanvre est relativement nouveau et peut être plus cher que d’autres solutions.
● Disponibilité : Des études supplémentaires sont en cours pour comprendre son plein potentiel, et la disponibilité peut varier.
David Ryan, membre de Régénération Canada, teste actuellement le paillis de chanvre en tant qu’amendement organique et de rétention d’eau dans son exploitation maraîchère en Colombie-Britannique.
En faisant des choix conscients dans nos pratiques agricoles et de jardinage, nous pouvons collectivement contribuer à préserver les écosystèmes délicats des tourbières et à atténuer le changement climatique.
Vous avez une autre idée pour remplacer la tourbe ? Vous souhaitez partager votre expérience de la fabrication de votre propre mélange sans tourbe ? Envoyez-nous un courriel à communications@regenerationcanada.org. Nous aimerions les connaître !
Nous remercions tout particulièrement les membres de Régénération Canada : Scott Hortrop, David Ryan et Gail Winters qui ont partagé leurs connaissances sur notre communauté de membres en ligne Hylo pour ce blog.