Le seigle roulé et la biodiversité comme moteurs de résilience
Après les récoltes, c’est le temps des retrouvailles
Avec l’arrivée de novembre vient ce moment plus calme où l’on prend des nouvelles de celles et ceux qui ont passé la saison à cultiver la vie du sol.
Cette année, c’est par un appel vidéo que j’ai eu le plaisir de retrouver Sébastien Angers, agronome et producteur à la Ferme de l’Odyssée, à Nicolet, Québec, pour échanger sur les parcelles de citrouilles régénératrices que j’avais visitées l’an dernier et sur le chemin parcouru depuis.

Ce leader de l’agriculture régénératrice, membre de Régénération Canada depuis nos débuts, poursuit son travail d’innovation agronomique dans ses propres champs et ceux de ses partenaires agriculteurs.
Il s’est aussi joint comme agronome à l’équipe de BIOSPHERES, une initiative internationale en agriculture régénératrice née en Europe, qui accompagne des producteur·trice·s et des entreprises dans la mesure d’impact et la transformation systémique des filières agroalimentaires.
Sébastien y œuvre comme agronome pour le Québec, contribuant à adapter les outils de mesure d’impact (carbone, eau, biodiversité) et les cadres de suivi de performance régénérative aux réalités pédoclimatiques d’ici.
Une saison extrême, une récolte stable : quand le sol vivant fait la différence
Cet été a vu son lot de contrastes météorologiques, avec un printemps trop humide suivi d’une chaleur et de la sécheresse. Malgré tout, les champs de citrouilles de la Ferme de l’Odyssée et des autres producteur·trices partenaires ont encore porté leurs fruits.
Les rendements se sont maintenus autour de 600 kg par hectare, ce qui est satisfaisant malgré une météo qui aurait pu avoir des résultats catastrophiques.
Pour Sébastien cette stabilité n’a rien d’un hasard, c’est la vie du sol comme ancrage de la résilience. Comme il dit si bien, l’incertitude au niveau du climat fait maintenant partie du jeu. On n’a plus le choix d’adapter nos systèmes en conséquence.
Sébastien travaille avec des producteur·trices qui cultivent leurs champs en semis direct dans un système diversifié depuis plus de 10 ans. Depuis plusieurs années, Sébastien expérimente sur ses terres et chez ses alliés différentes formules de cultures de couverture pour soutenir la production de citrouilles régénératrices. Après de nombreux essais, c’est le seigle roulé qui s’est imposé comme la meilleure option pour lui.
Le design agronomique du seigle roulé
Sébastien parle du seigle comme d’un allié intelligent, soit un partenaire de design plus qu’une simple culture de couverture.
« En agriculture régénératrice, il faut penser deux cultures pour en réussir une. Le succès de la citrouille dépend d’abord de la santé du seigle. »

Semé à l’automne précédent, le seigle protège le sol tout l’hiver. Il construit la structure, améliore la porosité, retient l’humidité et nourrit la vie microbienne. Au printemps, un rouleau-crêpeur vient coucher la culture : les tiges forment alors un tapis dense qui garde la fraîcheur du sol, limite les mauvaises herbes et nourrit l’écosystème souterrain.
Son approche repose sur une logique de flux plutôt que de quantité : comprendre comment les nutriments circulent entre la biomasse du seigle et la citrouille, et comment la vie du sol s’exprime via les vers de terre, bactéries, champignons, nématodes, etc.
Le réflexe habituel serait de nourrir la citrouille, mais Sébastien souligne l’importance de nourrir la culture de couverture, car c’est elle qui alimente le cycle de fertilité. Les citrouilles ont besoin de beaucoup d’azote — environ 120 kg par hectare — mais ce qui compte le plus, c’est le moment où cet azote devient disponible. Pour que les nutriments soient libérés au bon moment pour les citrouilles, il doit parfois fertiliser le seigle au printemps.
Sébastien explique que lorsque l’on détruit le seigle au printemps, la biomasse racinaire commence à se décomposer. Pour se faire, la vie du sol a besoin d’énergie pour ce travail, et puise donc dans la fertilité disponible dans le sol. Mais la citrouille, elle, en a aussi besoin pour bien démarrer sa croissance. Tout se joue dans les trois à quatre premières semaines d’implantation.
Ce phénomène d’équilibre entre décomposition et disponibilité des nutriments semble s’observer aussi dans d’autres cultures sous paillis de seigle. Sébastien prévoit d’approfondir cette hypothèse par des analyses de sol dans les prochaines années, notamment pour mieux comprendre la relation entre la nécromasse du sol, la vie dormante et la vie active.
Un laboratoire à ciel ouvert
C’est avec fierté que Sébastien m’a invitée à aller visionner le nouveau documentaire de Pastel Fluo, « Renouer avec la nature, semer la transition ».
Parmi une foule d’individus inspirants, on y découvre Sébastien à différentes saisons dans son laboratoire à ciel ouvert, observant son seigle pousser et récoltant ses citrouilles. Les prises de vue y sont magnifiques !
Il y partage une phrase simple, mais qui résume bien la réciprocité et la compréhension des flux dans laquelle il œuvre :
« Je donne et je prends. »

Le seigle roulé est là pour donner : il nourrit le sol, le protège et soutient la biodiversité. Ensuite vient le moment de prendre, avec la récolte des graines de citrouilles. Mais même ce geste s’inscrit dans le cycle des flux : tout ce qui reste de la plante retourne au champ, pour boucler la fertilité et nourrir la saison suivante.
La vesce velue fait aussi partie de ce design de réciprocité. Cultivée en intercalaire, cette légumineuse vit en symbiose avec les bactéries rhizobium : la plante capte le carbone de l’air par photosynthèse et nourrit les bactéries, qui en retour fixent l’azote atmosphérique dans le sol, contribuant à un sol plus vivant.
La biodiversité comme boussole
La biodiversité est un principe central à l’agriculture régénératrice, et Sébastien en est un ambassadeur convaincu. Pour lui, la biodiversité n’est pas un indicateur parmi d’autres : c’est le cœur du système.
Dans ses parcelles comme chez ses partenaires, elle s’exprime à plusieurs niveaux :
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Sous le sol, la richesse invisible du microbiote s’exprime, soutenue par les vers de terre qui en sont les architectes et nourrie par les racines du seigle, de la vesce velue et de la citrouille.
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À la surface, grâce aux rotations de cultures, aux cultures de couverture et aux différentes variétés de citrouilles.
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Autour des champs, à travers les bandes fleuries, les haies et les habitats pour insectes et oiseaux, qui favorisent la pollinisation.
« La résilience, ce n’est pas juste le rendement. C’est la base d’une sécurité pour nos relations d’affaires et pour notre santé psychologique en tant que producteur. »
Chaque champ devient ainsi un maillon d’un écosystème de coopération qui contribue à un changement de paradigme nécessaire.
Une chaîne de valeur régénératrice
Autour de Sébastien, le réseau se solidifie : 46 hectares cultivés en 2025, quatre producteur·trices en production et quatre en exploration de design agronomique, dont deux nouveaux venus.
Les partenariats avec Prana, Ferme Tournevent et les producteur·trices partenaires, dont les Fermes Clovis Gauthier, Bordelo et JMDC demeurent centraux :
- Prana pour la mise en marché des délicieuses graines de citrouilles régénératrices (je ne peux d’ailleurs plus m’en passer!)
- Ferme Tournevent pour la transformation en huile de graines de citrouille locale
- et les partenaires producteur·trices pour la recherche agronomique appliquée.

De nouvelles installations de lavage et de séchage permettent maintenant de traiter localement les graines, un pas significatif de plus vers une chaîne de valeur régénératrice complète, du champ à la table.
Pour Sébastien, la clé du succès réside dans des relations de qualité, pas seulement du transactionnel.
Vers 2026 : une vision qui prend racine
Pour 2026, Sébastien prévoit l’achat d’une deuxième récolteuse, une expansion à 75–80 hectares et l’ouverture de nouveaux marchés au Canada et aux États-Unis.
Mais au-delà des chiffres et des marchés, chaque conversation avec lui est pour moi un rappel précieux de l’importance de recentrer le vivant, la créativité et l’humain au cœur de nos démarches et de nos systèmes.
À travers ses citrouilles et ses rêves, il nous rappelle que régénérer, ce n’est pas seulement produire, c’est retrouver notre place dans le cycle du vivant.
Ressources pour aller plus loin
Si vous êtes producteur·trice et souhaitez accueillir une parcelle de production ou de recherche sur votre ferme, contactez directement Sébastien Angers.
Pour ceux et celles qui souhaitent tester le seigle roulé, les cultures de couverture ou d’autres pratiques régénératrices, explorez notre Boîte à outils de régénération !
Vous y trouverez des ressources pratiques conçues pour accompagner les producteur·trices dans l’adoption des principes régénérateurs sur leur ferme.

