Tisser des liens pour la régénération

Régénération Canada est né d’un mouvement mondial. En 2017, notre fondatrice, Gabrielle Bastien, a organisé le premier Symposium Sols vivants avec l’intention de ramener au Canada le mouvement régénérateur international en plein essor. Depuis ce temps, notre organisation a été nourrie et inspirée par des organisations internationales tout en se concentrant principalement sur le développement du mouvement auprès des agriculteur·trice·s canadien·ne·s. C’est pourquoi nous avons été plutôt surpris en 2023 lorsqu’un agriculteur ougandais nous a contactés pour devenir membre.

C’est ainsi que ma relation avec Edward Paul Munaaba a commencé. Il est le fondateur et directeur d’Edwards Hamlet, un centre de démonstration régénératrice dans le royaume de Busoga en Ouganda. Cet été, j’ai eu le privilège de mieux le connaître lorsqu’il a visité le Canada et passé une semaine avec moi, visitant des fermes régénératrices dans ma région. 

 

Se connecter à travers les continents

 

Edward a été le directeur exécutif de la Coalition Africaine pour le Partenariat sur le Changement Climatique en Tanzanie avant de retourner dans son Ouganda natal pour fonder un centre visant à aider les agriculteur·trice·s africain·ne·s à apprendre des pratiques agricoles régénératrices et résilientes face au climat. Il a partagé qu’il souhaitait désormais passer de l’activisme à la conduite du changement par l’exemple.

Contrairement à l’Amérique du Nord, une grande partie de la population en Afrique est impliquée dans la production alimentaire, principalement des petit·e·s agriculteur·trice·s de subsistance. Comme partout ailleurs, ils luttent pour faire face aux sécheresses et aux événements de pluie extrême en plus des nombreux autres défis pour vivre de l’agriculture.

Edward a découvert le site web de Régénération Canada en cherchant des ressources en ligne sur l’agriculture régénératrice. Avant que nous ne le rencontrions, il étudiait notre Carte de fermes, explorant la page de chaque ferme pour les étudier une à une. Il est peut-être la personne qui a utilisé le plus intensivement les ressources de notre site web. 

Lui et moi avons commencé à communiquer régulièrement via WhatsApp. Il m’a mentionné qu’il parlerait à une conférence à Toronto en juillet et a suggéré que je pourrais venir le rencontrer. Lorsque je l’ai informé que Toronto n’était pas si proche de ma région dans le sud du Québec, il a fait en sorte que je sois invitée à prendre la parole lors de la conférence. J’y ai donné une présentation sur le thème “Carbone, l’Eau et la Biodiversité : Pour la résilience climatique et la sécurité alimentaire”. Nous avons tous deux participé à un panel sur les questions environnementales, et j’ai invité Edward à revenir au Québec avec moi pour visiter des fermes dans ma région.

 

Visiteurs du centre de régénération Edwards Hamlet à Jinja, en Ouganda.


Comme les fermes en Afrique sont généralement petites, j’ai choisi une sélection de fermes susceptibles d’avoir un rapport avec le travail qu’il fait en Ouganda. Au Centre de Régénération Edwards Hamlet, ils cultivent du café comme culture de rente, mais aussi des légumes et des fruits. On y trouve des ananas, des jacquiers et des bananes, ainsi que des pommes tropicales en provenance d’Afrique du Sud. Depuis peu, ils expérimentent la pisciculture dans de petits étangs, qui combine stockage de l’eau et production de poissons. 

De nombreux groupes d’agriculteur·trice·s viennent régulièrement découvrir le potentiel de l’agriculture régénératrice. Il a réussi à faire passer le sol d’un rouge pâle à un rouge plus foncé en augmentant la matière organique du sol. Pendant qu’Edward était chez moi, il a organisé des visites virtuelles de mon jardin pour des groupes de membres de sa famille, de collègues et d’amis, curieux de voir à quoi ressemble la culture au Québec.


Visites de fermes au Québec


Les jardins de la grelinette : La micro-ferme biologique

 

La Grelinette utilise des technologies simples et réutilisables, telles que des textiles tissés et des filets, pour lutter contre les mauvaises herbes et les insectes sur la ferme.


Notre première visite de ferme a été à la ferme de Maude Hélène Desroches, La Grelinette, une petite ferme biologique mais très productive qui vend aux restaurants et aux abonnés des paniers bio, autrement appelé ASC (Agriculture Soutenue par le Consommateur). La Grelinette dispose d’un système de production très bien organisé, utilisant des équipements spécialisés à faible technologie, comme des bâches d’occultation, qui sont des bâches en plastique résistantes utilisées pour éliminer les cultures de couverture en bloquant la lumière. La ferme accueille de nombreux stagiaires qui viennent y apprendre leurs méthodes. Edward s’est particulièrement intéressé à leurs installations pour la main-d’œuvre, car il prévoit d’aménager des logements pour les visiteurs à Hamlet. Maude Hélène a de petites cabanes individuelles dans un coin charmant de la forêt pour ses stagiaires, avec une cuisine extérieure et un salon où ils peuvent préparer leurs repas et se détendre ensemble pendant leur temps libre.

 

Clos Saragnat : Verger et vignoble biologique

Ensuite, nous avons visité le Clos Saragnat, un verger biologique produisant des vins de spécialité de renommée mondiale à partir de pommes et de raisins. Son propriétaire, Christian Barthomeuf, dont les parents étaient vignerons en France, est arrivé au Québec en 2008 et a acheté une ferme abandonnée. Il cherchait des variétés de pommes capables de survivre au climat sans intervention chimique. Il a planté de nombreuses variétés de pommes rustiques et les a laissées se débrouiller toutes seules. Si elles ne prospéraient pas, il les coupait. Le verger de Christian est très sauvage et plein d’oiseaux et d’insectes, ce qui, selon lui, est son secret pour des arbres en bonne santé et un bon vin. Il croit en la non-intervention et laisse l’écosystème s’établir de lui-même.

 

Les plantes médicinales aromatiques de la ferme Oneka sont utilisées pour créer des produits de soins naturels.


La ferme suivante sur notre liste était Oneka, où nous avons été guidés par Philippe Choinière, cofondateur avec sa femme Stacey. Oneka Elements est une entreprise qui fabrique des cosmétiques naturels, des shampoings et des savons à partir de plantes aromatiques qu’ils cultivent sur la ferme. 

La ferme était autrefois le verger de pommiers de ses parents. Philippe nous a raconté comment il a grandi en voyant ses parents travailler beaucoup trop dur et être à la merci de la vente de leurs produits périssables sur le marché des matières premières. Il a juré qu’il se concentrerait sur la fabrication d’un produit à valeur ajoutée qu’il pourrait étiqueter sous sa propre marque et commercialiser, afin d’avoir plus de contrôle et un meilleur prix.

Edward a adoré l’idée de la valeur ajoutée grâce à la transformation des produits sur la ferme et a commencé à réfléchir aux plantes aromatiques chez lui et aux recettes des herboristes traditionnels.

Philippe nous a montré comment ils fermentent leurs pommes pour en faire des vinaigres artisanaux utilisés pour macérer les herbes, comment ils sèchent les herbes sur des racks, et comment ils extraient les huiles essentielles. Tout l’équipement et la technologie sont simples et peuvent être utilisés pendant de nombreuses années avec peu d’entretien.

 

Ferme du Haut Vallon : Pommes biologiques, ail et agneau au pâturage

 

Edward avec Pierre Jobin à la Ferme Haut Vallon.


La ferme du Haut Vallon a été notre prochaine visite. La ferme produit des pommes biologiques, de l’ail et de l’agneau nourri à l’herbe. Notre hôte, Pierre Jobin, nous a expliqué que, pour être rentable, ils ont développé une chaîne d’approvisionnement courte avec peu d’intermédiaires entre la ferme et ses clients.

Leur autre secret est d’avoir un système en boucle fermée sur la ferme, de sorte que presque tous les intrants nécessaires à la production proviennent directement de la ferme. Ils ont développé leur propre système de fourrage et utilisent le pâturage rotatif avec leurs moutons. La fertilité des pommes et de l’ail provient des cultures fourragères et des moutons. La ferme du Haut Vallon est une véritable ferme familiale, donc en plus de leurs cultures de rente, ils produisent du poulet, des œufs, du porc et des légumes pour la famille et les amis.

L’exploitation ne fait pas d’énormes bénéfices, mais les agriculteur·trice·s ont réussi à subvenir à leurs besoins pendant 20 ans en jouissant d’une très bonne qualité de vie et ils sont fiers de l’empreinte qu’ils ont laissée sur la terre. La fille de Pierre, Jasmine, reprend peu à peu la ferme avec son partenaire.

 

Ferme de l’Odyssée : Production régénératrice à grande échelle de graines de citrouille

 

Sébastien Angers nous montre la structure de son sol après plusieurs années de pratiques régénératrices.


La ferme de Sébastien Angers, Ferme de l’Odyssée, était la seule que nous avons visitée qui pratique une production régénératrice à grande échelle de divers grains et légumineuses à l’aide de machineries. Bien qu’Edward ne se lancera probablement pas dans ce type de production en Afrique, je tenais à ce qu’il rencontre Sébastien car ils sont tous deux des innovateurs. Sébastien appelle sa ferme un laboratoire vivant de diversités végétales en agriculture régénératrice. Formé en tant qu’agronome, il essaie constamment de nouvelles méthodes. 

Récemment, Sébastien a développé un partenariat avec une entreprise appelée Prana Foods. Prana produit des mélanges de collations à base de noix, de graines et de fruits secs, et souhaite se tourner vers des ingrédients produits localement de manière régénératrice. Sébastien cultive des citrouilles à graines nues (sans coques) afin d’approvisionner l’entreprise. Il cherche à concevoir une rotation de cultures et de cultures de couverture idéale pour cultiver les citrouilles de manière efficace et fiable. 

Comme Sébastien nous l’a expliqué, un·e agriculteur·trice au Canada n’a qu’un seul essai par an avec une culture, ce qui fait que l’apprentissage peut prendre beaucoup de temps. C’est pourquoi il cherche maintenant à réduire la surface de terre qu’il utilise sur sa propre ferme et à collaborer avec d’autres agriculteur·trice·s afin de réaliser plusieurs essais à plusieurs endroits, tout en développant la chaîne d’approvisionnement pour Prana et en perfectionnant la recette idéale pour cultiver les citrouilles. 

Edward a été impressionné par la vaste collection de variétés de cultures de couverture de Sébastien. Il a également retenu l’idée que l’apprentissage le plus profond vient de l’échec. Plutôt que d’avoir honte de ses échecs, on peut en tirer beaucoup de leçons. Aucune innovation ne vient sans de multiples échecs !

 

Ferme Patch : Élevage en pâturage

Meagan Patch élève son propre bétail et le fait pâturer toute l’année.


Enfin, nous avons visité la Ferme Patch pour compléter le volet « intégration des animaux » de l’agriculture régénératrice. La Ferme Patch vend du bétail, du poulet, du porc et des œufs, tous élevés en pâturage. Notre hôte, Meagan Patch, nous a guidés lors de la visite. 

Meagan dispose d’infrastructures très simples sur sa ferme, sans même une grange. Les animaux sont déplacés et contenus à l’aide de clôtures mobiles et de tracteurs à poules. La plupart des animaux sont élevés pendant trois saisons et abattus avant l’hiver. Les bovins passent l’hiver en pâturant sur des balles de foin. Meagan sélectionne ses vaches pour favoriser des animaux robustes bien adaptés au climat québécois. 

Edward a adoré la simplicité de son exploitation. Il a également apprécié la boutique de la ferme. Le thème du juste prix pour le producteur à travers les ventes directes ou les chaînes d’approvisionnement plus courtes a été un sujet que nous avons beaucoup abordé au cours de ces visites. À un moment donné, nous sommes entrés dans un magasin où ils vendaient des sacs de café de 500 grammes pour 17,75 $. Edward reçoit environ 1,50 $ par kg pour son café.

 

Soutenir un mouvement global

 

Edward est rentré chez lui en Ouganda avec de nombreuses idées et de nouveaux amis. Il est impatient de continuer à tisser des liens entre le Nord et le Sud, entre l’Afrique de l’Est et le Canada. J’ai également été nourrie par nos échanges et j’ai beaucoup appris sur le mode de vie d’Edward en Afrique. Quand nous réalisons que nous sommes sur une seule Terre et que les défis rencontrés dans une partie du monde contribuent à la condition mondiale qui nous affecte tous, il est inspirant de collaborer ensemble et de partager nos apprentissages. Le site web d’Edwards Hamlet est en construction, mais vous devriez bientôt pouvoir entrer en contact avec Edward à travers celui-ci. Si jamais vous souhaitez lui rendre visite en Ouganda, vous serez chaleureusement accueillis.