Une promenade au pâturage avec Allen Williams

Meagan Patch est une éleveuse régénératrice qui produit et commercialise directement du bœuf nourri à l’herbe, du porc en pâturage, du poulet et des œufs à la Ferme Patch, à Brome, au Québec. Elle fait partie de l’équipe de Régénération Canada en tant qu’Agente de projet pour le projet pilote de fermes laitières régénératrices au Québec.

 

Je ne sais pas pourquoi, mais cet hiver je souffrais d’un manque d’entrain pour la saison à venir. C’est peut-être parce que j’ai pris la décision difficile de vendre mes vaches l’an dernier et de me concentrer sur la finition des bouvillons, ce qui veut dire que je n’aurai pas de vêlage à célébrer ce printemps. C’est peut-être dû au fait que les veaux d’un an que j’ai achetés en juin dernier n’étaient pas de la meilleure qualité, et que j’ai dû faire hiverner la plupart d’entre eux. C’était peut-être simplement le manque de soleil.

Peu importe la raison, au cours des six derniers mois, j’avais en tête que je n’atteignais pas les résultats que je m’étais fixés pour certains de mes pâturages, que j’étais face à un mur, et qu’il était probablement temps de prendre des mesures supplémentaires si je voulais voir des améliorations en termes de productivité des pâturages et de performance animale cette année.

Faudrait-il que je fauche les pâturages et que j’aie recours au semoir?
Que je sème à la volée?
Que j’importe de la chaux et du fumier?

Peu importe l’intervention, j’allais dépenser plus d’argent que je ne pouvais réellement me permettre. Malgré tout, j’ai lancé un appel à l’aide sur le groupe Pâturages Régénératifs Québec pour l’ensemencement de mes pâturages, et plusieurs agronomes et agriculteur·trice·s m’ont offert leur aide. Mais je n’étais toujours pas certaine de la voie à suivre.

 

Allen Williams à la rescousse

Par chance, j’ai appris que le 27 avril, Allen Williams serait chez Bread and Butter Farm à Shelbourne, dans le Vermont – à seulement une heure et demie de ma ferme – et l’équipe de Régénération Canada a décidé de m’envoyer en mission. C’est exactement ce dont j’avais besoin: marcher dans les champs, rencontrer d’autres agriculteur·trice·s, écouter, poser des questions et réfléchir. Il était temps pour cette agricultrice alimentée à l’énergie solaire de rompre son cafard et d’aller chercher de l’inspiration (et un peu de la vitamine D tant convoitée).

Dans l’espace régénérateur, même les novices sont susceptibles de connaître le nom d’Allen Williams. Il est une voix familière dans les balados, sur YouTube et dans plusieurs documentaires, et il est l’un des partenaires fondateurs de Understanding Ag. Il est à la fois un académicien et un praticien de l’agriculture régénératrice, et il a un don pour expliquer les relations complexes entre le sol, les plantes et les animaux d’une manière tout aussi accessible qu’engageante.

Le jour de l’événement, j’ai rejoint un grand groupe de personnes qui se sont réunies pour apprendre d’Allen – et les unes des autres. Avant toute chose, nous avons mangé d’excellents tacos au bœuf nourri à l’herbe offerts par nos hôtes. Même si j’aimerais raconter chaque moment de la promenade au pâturage, je vais m’en tenir à ce qui a été le plus marquant pour moi. Certains de ces concepts ne sont pas nouveaux, mais il est toujours bien de les réaffirmer. D’autres apprentissages, quant à eux, m’ont vraiment aidée à résoudre le dilemme de l’amélioration de mes pâturages.

 

Résoudre les difficultés relatives au pâturage

Avant de commencer, Allen nous a rappelé que le contexte est crucial, et qu’à partir du moment où l’on devient prescriptif sur les pratiques, on n’est plus dans l’esprit régénérateur. Il a ensuite établi une règle fondamentale pour les discussions de l’après-midi : nous n’avions pas le droit de dire « Mais nous ne pouvons pas faire ça ici ». Cette règle oblige à garder l’esprit ouvert et à se demander : « À quoi cela ressemblerait-il dans mon contexte? ». Allen a également passé en revue les six principes de l’agriculture régénératrice, les trois règles de l’intendance adaptative et les quatre processus écosystémiques (connus aussi comme le 6-3-4).

Le champ que nous examinions avait récemment été repris par Bread and Butter Farm. Auparavant, il était géré de manière conventionnelle, ce qui veut dire que pendant de nombreuses années, beaucoup plus a été retiré du sol que ce qui y était retourné.

Nous avons commencé par une analyse du profil du sol. Si ça ne vous est pas familier, voici comment procéder :

Allen présente au groupe l’analyse du profil du sol.

1. Enfoncez l’extrémité de la pelle dans le sol et sautez dessus. Si la pelle ne s’enfonce pas beaucoup, c’est que votre sol est compacté.

2. Tirez la pelle vers l’arrière et le bas pour faire sortir une motte de terre. Si la pelle se brise, votre sol est définitivement compacté. (Ou il est simplement temps d’acheter une nouvelle pelle!)

3. Analyse du profil :

a. À quoi ressemble la surface? Est-elle croûteuse ou friable? Si elle a une croûte, vous avez probablement des problèmes de durcissement de la surface du sol et donc d’infiltration d’eau.

b. Taille et profondeur des agrégats : Des agrégats de grande taille sont un bon signe. Plus ils ont de profondeur, mieux c’est.

c. La couleur : Change-t-elle avec la profondeur? Plus sombre = plus de carbone. On veut que la couche sombre soit elle aussi profonde.

d. Lamelles: Un sol lamellaire forme des couches horizontales clairement définies. Y a-t-il une lamelle là où les racines s’arrêtent? À quelle profondeur se trouve-t-elle? Une bonne pénétration des racines permet de la rompre.

e. Densité apparente : Le sol est-il lourd ou léger? Un sol fortement agrégé sera plus léger.

f. Test aromatique pour confirmer l’activité microbienne : Le sol devrait avoir une bonne odeur. Une odeur métallique est signe d’un sol très bactérien (rapport bactéries/champignons élevé).

Le sol que nous observions avait une croûte friable, une couche de 3 pouces plus foncée avec de petits agrégats, et une fissure claire juste en dessous du placage. Ce pâturage était sur la voie de la guérison.

Brandon Bless, responsable des animaux et des terres chez Bread and Butter Farm, a énuméré les différentes interventions qu’ils ont essayées sur des sections de terres difficiles, et nous a mis au défi de répondre à un quiz : Laquelle des interventions suivantes leur a permis d’améliorer efficacement les pâturages problématiques?

a. Labour avec charrue Keyline
b. Semis direct
c. Semis à la volée
d. Fauchage
e. Pâturage de balles de foin (bale grazing)

Si vous avez répondu le bale grazing, vous avez raison! Rien ne semble rivaliser avec le bon vieux pâturage de balles de foin, qui fournit efficacement une combinaison de perturbations, de fertilité, de protection du sol et d’une plus grande banque de semences, pour ne citer que quelques bénéfices.

Les sujets abordés par la suite ont inclus les espèces fourragères et l’amélioration de la qualité des pâturages. C’est à ce moment que j’ai réalisé que j’avais oublié d’essayer certaines choses sur mes sections difficiles avant de recourir aux machines. Après avoir passé beaucoup de temps récemment à m’inquiéter de ne pas avoir assez de légumineuses dans mes pâturages, Allen nous a appris quelques faits :

● Beaucoup de gens ont trop de légumineuses dans leurs pâturages. Dans la nature, les légumineuses représentent 10 à 12 % des espèces des prairies.

● Un excès de légumineuses peut entraîner un déséquilibre dans le rapport carbone/azote, ce qui pousse les microbes à surconsommer le carbone du sol. Je connaissais cette dynamique en ce qui concerne les engrais minéraux, mais je n’avais jamais pensé que cela pouvait se produire avec des plantes fixatrices d’azote.

● Un excès de légumineuses peut également entraîner un excès de protéines dans l’alimentation. Cela peut à son tour causer un déséquilibre microbien dans le rumen et causer des problèmes de santé tels que la conjonctivite.

● Les prairies indigènes peuvent contenir jusqu’à 30 à 40 % d’espèces de plantes herbacées. Puisque je n’entends jamais beaucoup parler des herbacées, j’ai trouvé ça très intéressant et je suis maintenant motivée à en savoir plus à leur sujet.

● Les prairies indigènes contiennent environ 250 espèces ou plus – ce qui me rappelle qu’il est plus judicieux de m’efforcer à trouver des bœufs ayant un profil génétique qui leur permettront de s’épanouir au sein d’un écosystème végétal diversifié, plutôt que de me battre pour établir une densité de légumineuses supérieure à la normale.

Interrogé sur la manière de maintenir des populations de plantes herbacées dans le cadre d’un système de gestion intensive des pâturages, Allen a souligné l’importance de périodes de repos adéquates avant de retourner dans un enclos. De trop courtes périodes réduisent la diversité des espèces. Une stratégie pour garantir un repos adéquat consiste à accorder des périodes de repos plus longues que d’habitude sur différentes sections en alternance d’une année à l’autre. Ça m’a fait réaliser que je n’ai pas encore tout à fait maîtrisé la règle de la perturbation de l’intendance adaptative dans ma gestion des pâturages. J’ai alors commencé à réfléchir aux techniques de perturbation avec lesquelles je n’ai pas encore expérimenté, comme d’augmenter la densité du troupeau dans certaines zones difficiles ou d’accorder des périodes de repos plus longues tous les deux ans. Ces deux techniques ont constitué un défi pour moi en raison de la difficulté à maintenir une puissance suffisante sur certaines clôtures ou de problèmes logistiques, mais je suis déterminée à trouver des solutions cette année.

 

Le groupe se rend dans une autre partie du champ pour observer les différences dans la distribution et la couverture des espèces végétales.

 

Faucher ou ne pas faucher?

C’est une question que se posent souvent les novices de la gestion régénératrice des terres, en particulier lorsqu’ils et elles voient apparaître des « mauvaises herbes ». Mais cette question peut également se poser lorsqu’il s’agit de décider d’inclure ou non les champs de foin dans un plan de pâturage. En agriculture conventionnelle, les pâturages et les champs de foin sont souvent gérés de manière très différente, avec peu de chevauchement dans leur utilisation. Bien sûr, les raisons sont parfois évidentes, par exemple lorsque les pâturages sont trop accidentés pour être cultivés pour le foin, ou lorsque les champs de foin sont trop éloignés pour être utilisés comme pâturages ou impliquent des investissements en infrastructures qui n’ont pas de sens du point de vue économique.

Par contre, dans les cas où il y a peu de contraintes logistiques, il peut être très avantageux d’inclure les terres à foin dans un programme de gestion des pâturages. C’est quelque chose que j’ai personnellement observé sur ma ferme après des années à utiliser tous nos champs pour le pâturage et à acheter notre foin ailleurs. Nos champs sont souvent plus avancés au temps des foins que les champs avoisinants qui ont été régulièrement traités à la chaux, ensemencés et fertilisés avec des engrais minéraux.

Mais l’exemple de Brandon est le meilleur, parce que Bread and Butter Farm a mené une expérience l’année dernière et en a mesuré les résultats. Ils ont divisé une section de terre en deux, et ont récolté deux coupes de foin sur la première moitié. L’autre moitié du champ a été pâturée pendant la première période de coupe de la saison, et fauchée au stade de la deuxième coupe. La biomasse récoltée dans la moitié du champ précédemment pâturée était supérieure de 120 % à celle récoltée dans la moitié qui n’avait été que fauchée.

Quelle peut être la cause de cette énorme différence de rendement? Pour reprendre les mots d’Allen, la biologie engendre la biologie. Le fauchage n’imite pas le pâturage. Le pâturage envoie un signal différent à la plante, ce qui amène les plantes à réagir différemment. De plus, lors du pâturage, les bovins ou les ovins laissent derrière eux de la salive, de l’urine et du fumier qui correspondent au microbiome du sol. Avec une bonne gestion du pâturage, vous ne devriez jamais avoir à réensemencer un pâturage.

 

En avant!

Chaque fois que je participe à une promenade au pâturage, j’en ressors avec quelque chose de nouveau à essayer ou avec une perspective nouvelle. L’après-midi que j’ai passé avec Allen Williams et tout le groupe d’agriculteur·trice·s passionné·e·s m’a fait réaliser qu’il me restait encore des choses à essayer dans ma boîte à outils de gestion des pâturages.

Les trois principaux enseignements que j’ai tirés de cette journée sont : 1) m’assurer d’intégrer les perturbations dans ma gestion ; 2) me rappeler que la biologie engendre la biologie, et que les machines ne peuvent pas remplacer les animaux si l’objectif est d’enrichir les sols ; et 3) le pouvoir de l’intelligence collective.

La prochaine fois que je manquerai de motivation ou que je me heurterai à un mur dans ma gestion des pâturages, je m’inscrirai à une promenade au pâturage.