SOMMAIRE
Régénération Canada soutient actuellement un laboratoire de recherche à l’Université McGill dirigé par la Dre Cynthia Kallenbach. Ce projet explore le rôle de la diversité des cultures dans l’adaptation aux changements climatiques, en particulier leur impact sur les tendances en matière de précipitations, la santé des sols, la diversité microbienne et l’utilisation des pesticides. Ce projet de recherche se distingue par son engagement continu auprès des agriculteur·rice·s québécois·e·s afin de garantir sa pertinence pratique et son impact à long terme.
Cet article s’appuie sur l’exploration initiale de ce projet, que nous avons entamée dans notre premier article de blog intitulé « Semer la résilience : La diversité des cultures, la santé des sols et l’adaptation aux changements climatiques des fermes québécoises », en présentant les plus récents développements et les nouvelles connaissances acquises sur le sujet.
Exploration du rôle de la diversité des cultures dans la résilience climatique
À mesure que le changement climatique s’intensifie, la modification des régimes de précipitations pose un défi important à la production alimentaire. En effet, l’évolution des précipitations, qu’elles soient excessives ou insuffisantes, menace la productivité des cultures et la santé des sols. À l’Université McGill, le projet de recherche « Diversity and Rainfall Treatment (DART) » étudie comment la diversité des cultures et les systèmes de polyculture peuvent offrir une solution naturelle à certains de ces problèmes.
Dirigé par la Dre Cynthia Kallenbach, ce projet étudie comment l’augmentation de la biodiversité dans les agroécosystèmes influe sur la résilience des fermes face à la variabilité climatique, la santé des sols ainsi que les cycles du carbone et de l’azote. Cette étude vise à fournir des données cruciales sur les pratiques régénératrices dans une ère d’incertitude environnementale.
Cet article se penche sur le rôle de la diversité des cultures dans l’amélioration de la matière organique du sol, le renforcement de la séquestration du carbone et l’impact potentiel sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) issues de l’agriculture, à travers des entretiens avec deux chercheurs impliqués dans le projet.
La recherche vise à répondre à des questions pressantes :
Comment les polycultures contribuent-elles à la matière organique du sol et au cycle des nutriments ?
Ces systèmes peuvent-ils contribuer à atténuer les effets du changement climatique, notamment en ce qui concerne la gestion de la disponibilité de l’eau et la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

Dre Kallenbach et son équipe ont mis en place des parcelles d’essai sur le campus Ste-Anne-de-Bellevue de l’Université McGill, au Québec, afin d’étudier ces questions. Ils examinent les effets de sept combinaisons de légumineuses et de petites céréales, dont le blé de printemps, le haricot sec, le seigle, le trèfle blanc et le Kernza(TM) (un type de blé vivace en développement au Land Institute). L’équipe surveille de près trois régimes de précipitations, gérés à l’aide d’abris contre la pluie et de systèmes d’irrigation. Ils utilisent également des capteurs, des enregistreurs de données et divers tests pour évaluer l’état des sols et des cultures.

En août 2024, Régénération Canada a organisé une journée au champ sur le campus de McGill, où les chercheurs ont pu présenter leurs travaux et échanger avec des agriculteur·rice·s, des agronomes, des représentant·e·s d’organismes environnementaux et d’autres intervenants.
Cette journée nous a permis de rencontrer Nadia Moukanni et Théo Humbeeck, deux membres de l’équipe de recherche du projet DART.
Polycultures et qualité de la matière organique du sol
L’histoire de Nadia Moukanni est celle d’une passion et d’un objectif. Originaire du Maroc, elle a étudié la gestion des sols et de l’eau, s’est immergée dans l’agriculture et a développé son expertise en tant que responsable de la qualité pour l’exportation de fruits. Fascinée par la complexité et le potentiel des sols, elle s’est ensuite tournée vers la recherche.
Son parcours académique l’a conduite à l’Université de Californie à Davis pour un doctorat. Puis, une opportunité postdoctorale axée sur la matière organique du sol (MOS) l’a amenée à rejoindre l’équipe de recherche DART de l’Université McGill, explorant l’intersection de la diversité des cultures et de l’évolution des régimes de précipitations. En étudiant les systèmes de culture diversifiés, ses recherches examinent comment différents niveaux de diversité affectent la matière organique du sol et l’écosystème du sol en général. L’objectif est de comprendre dans quelle mesure des systèmes de culture diversifiés peuvent améliorer la santé et la résilience des sols face aux défis environnementaux.
Quelle est son hypothèse ? L’augmentation de la diversité des cultures influence la diversité de la vie dans le sol, créant une gamme de sous-produits microbiens qui améliorent la qualité de la matière organique du sol.
La matière organique du sol (MOS) est composée des restes décomposés de plantes, d’animaux et de micro-organismes qui y sont présents. La MOS joue un rôle crucial dans la santé du sol en améliorant sa structure, sa capacité de rétention d’eau et la disponibilité des nutriments. Elles contribuent également au stockage du carbone en agissant comme un puits de carbone et favorisent la croissance d’organismes bénéfiques tels que les vers de terre et les microbes. |
Lorsqu’on parle de MOS de meilleure qualité, on fait référence à une MOS qui capture le carbone dans le sol sur le long terme, qui persiste et qui amplifie le grand nombre de services écosystémiques fournis par un sol sain.
En fin de compte, Nadia cherche à découvrir des stratégies permettant de stocker davantage de CO₂ dans le sol et de l’y maintenir, ce qui est une étape cruciale pour renforcer la résilience climatique et soutenir les pratiques agricoles durables. Son travail contribue à ouvrir la voie à une agriculture régénératrice qui concilie productivité et préservation de l’environnement.

Modélisation numérique pour les scénarios climatiques futurs
Théo Humbeeck, étudiant en deuxième année de doctorat en ingénierie des bioressources, cherche à comprendre comment la diversité des cultures affecte les émissions de gaz à effet de serre, le cycle de l’azote et le cycle du carbone.
En combinant modélisation informatique et travail de terrain approfondi, il utilise des modèles mathématiques pour simuler les cycles biogéochimiques dans le sol, tels que les cycles de l’azote et du carbone. En calibrant ces modèles à l’aide des observations réalisées sur le terrain et en utilisant les données climatiques existantes, Theo peut prédire l’impact de différents scénarios climatiques sur les processus du sol. À l’aide d’outils tels que le modèle DNDC (un outil pour évaluer la durabilité des pratiques de gestion agricole), il adapte les modèles mécanistes au contexte canadien, en explorant les changements futurs en matière de température et de précipitations.
Passionné par le fait de relier son travail à des objectifs plus larges en matière de santé humaine, Theo s’inspire de l’approche « Une seule santé », qui reconnaît l’interconnexion profonde entre la santé humaine, la santé animale et la santé de l’environnement.
Bien que les recherches de Theo n’en soient qu’à leurs débuts, les résultats préliminaires de 2023 suggèrent qu’une plus grande diversité des cultures pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre, en particulier l’oxyde nitreux (N₂O), dont le potentiel de réchauffement planétaire est trois fois plus élevé que celui du CO₂.
Ce qui est intéressant, c’est que certaines parcelles de culture présentent des pics de N₂O plus élevés, alors que d’autres n’émettent que des quantités minimes. Ces observations suggèrent que le type de culture et les traitements azotés peuvent avoir un impact plus important sur les émissions que l’augmentation de la diversité. Alors que les pédologues et les agriculteur·trice·s s’attendent à ce que les polycultures, les cultures de couverture et les systèmes pérennes réduisent les émissions, la réalité est plus nuancée.
Cette étude fournit des données rares et concrètes dans un domaine où la recherche a été difficile en raison de nombreux facteurs, notamment la longue durée de ce type d’études et la complexité du cycle de l’azote. Une analyse plus poussée des échantillons de sol permettra de mieux comprendre les interactions complexes entre la diversité des cultures, le cycle de l’azote et la dynamique des gaz à effet de serre.
Pourquoi les chercheurs souhaitent engager les agriculteur·trice·s dans la recherche ?
Les approches participatives, collaboratives et communautaires sont au cœur des recherches de Nadia et de Theo, car elles permettent de s’assurer que leur science n’est pas seulement théorique, mais qu’elle peut être appliquée par les agriculteur·trice·s.
Alors que son projet est encore à la phase de planification, Theo prévoit de faire appel aux agriculteur·trice·s pour co-créer des solutions en intégrant leurs pratiques culturales aux modèles de changement climatique. L’objectif est de développer des outils d’aide à la décision qui permettront aux agriculteur·trice·s d’adapter leurs pratiques de manière efficace et de mesurer leur impact, en calibrant les modèles et en simulant divers scénarios climatiques avec leur aide. Cette approche vise à combler le fossé entre le monde académique et l’agriculture, en transformant des modèles scientifiques complexes en outils pratiques pour une transition évolutive vers l’adoption de pratiques régénératrices.
Nadia souligne également l’importance de combler l’écart entre la recherche universitaire et l’expérience des agriculteur·trice·s, dont les points de vue sont essentiels pour lutter contre le changement climatique. Son engagement auprès des agriculteur·trice·s non seulement alimente sa passion, mais garantit également que ses recherches sont fondées sur des solutions pratiques qui ont un impact sur la prise de décision quotidienne.
Les interactions de la journée de démonstration d’août 2024 ont été pour elle un moment fort, car elles ont renforcé la valeur de la cocréation des connaissances et de l’orientation de la recherche pour qu’elle produise l’impact escompté. Elle reconnaît toutefois les défis à relever, tels que l’instauration et le maintien de la confiance avec les agriculteur·trice·s, la promotion de la transparence, ainsi que l’équilibre à trouver entre l’intégrité de la recherche et la réponse aux besoins des agriculteur·trice·s. Nadia estime qu’il est essentiel de continuer à combler le fossé entre la recherche et la pratique, d’explorer les moyens d’impliquer les communautés dans la collecte de données et d’amplifier les voix des agriculteur·trice·s dans l’élaboration de la recherche et des politiques.
Conclusion
À mesure que notre climat change, les agriculteur·trice·s et les consommateur·trice·s sont confronté·e·s aux défis que pose la variabilité météorologique pour l’agriculture. En étudiant le rôle de la diversité des cultures dans la résilience climatique, l’équipe de recherche DART de l’Université McGill fournit aux producteur·trice·s des stratégies fondées sur des données probantes pour relever ces nouveaux défis. Leurs travaux de recherche offrent des pistes pour rendre les systèmes agricoles plus résilients et ont également le potentiel d’informer les politiques environnementales qui sont à la fois efficaces et équitables pour les agriculteur·trice·s.
Ce travail est rendu possible grâce au soutien actif et à la participation des agriculteur·trice·s du Québec, qui jouent un rôle essentiel à tous les niveaux, de la recherche à l’application de ses résultats. Des journées de démonstration comme celle qui s’est tenue en août 2024 à McGill témoignent de ce partenariat où agriculteur·trice·s et chercheur·euse·s participent à un échange de connaissances de manière significative.
Ce qui distingue ce projet, c’est l’engagement des agriculteur·trice·s, qui garantit la mise en œuvre de solutions concrètes basées sur les résultats de la recherche. Grâce à cette collaboration, l’équipe fait progresser l’agriculture régénératrice au Québec.
Si vous souhaitez être tenu·e au courant de cette recherche ou vous impliquer en tant agriculteur·trice, veuillez contacter Sara à sara.mg@regenerationcanada.org.
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