Semer la résilience : La diversité des cultures, la santé des sols et l’adaptation aux changements climatiques des fermes québécoises

SOMMAIRE

Régénération Canada soutient actuellement un laboratoire de recherche à l’Université McGill dirigé par la Dr. Cynthia Kallenbach. Ce projet explore le rôle de la diversité des cultures dans l’adaptation aux changements climatiques, en particulier leur impact sur les tendances en matière de précipitations, la santé des sols, la diversité microbienne et l’utilisation des pesticides. Grâce à des essais sur le terrain et à la création de modèles numériques, l’étude vise à équiper les agriculteur·rice·s de stratégies fondées sur des données concrètes en matière de résilience climatique. En favorisant la collaboration et l’échange de connaissances, la recherche vise à faire progresser l’agriculture régénératrice, en promouvant la diversité des cultures et la résilience dans le paysage agricole du Québec. Ce projet de recherche se distingue par son engagement continu auprès des agriculteur·rice·s québécois·e·s afin de garantir sa pertinence pratique et son impact à long terme.


 

En 2023, le sud du Québec a connu un mois de juillet le plus humide jamais observé depuis plus de 50 ans, ce qui a mis en évidence les effets de plus en plus marqués des changements climatiques. Avec les inondations et le temps humide persistant, beaucoup d’agriculteur·rice·s ont dû faire face à des défis considérables au cours de leur saison de croissance. Les conditions météorologiques devenant de plus en plus imprévisibles et intenses, les agriculteur·rice·s du monde entier doivent constamment s’adapter à de nouvelles réalités. C’est en partie pourquoi l’agriculture régénératrice est devenue une approche si attirante pour les agriculteur·rice·s dans un contexte où l’amélioration de la résilience est essentielle. L’agriculture régénératrice reconnaît que la santé des sols est au cœur de la résilience agricole. Un sol sain peut absorber et retenir l’eau comme une éponge, ce qui est essentiel lorsque les pluies sont trop abondantes ou au contraire insuffisantes.

Afin de renforcer leurs entreprises face à l’incertitude des changements climatiques, certain·e·s agriculteur·rice·s explorent d’anciennes et de nouvelles stratégies visant à améliorer la santé des sols. L’une de ces stratégies, actuellement étudiée par la chercheuse Dre Cynthia Kallenbach et une équipe de plus de 10 étudiants et professeurs de l’Université McGill de l’Université McGill, est la diversité des cultures. En effet, la diversité des cultures pourrait être la clé de la résilience de nos fermes. Bien qu’il existe une multitude de preuves informelles et d’expériences à la ferme soulignant les avantages des systèmes de culture diversifiés, il est essentiel de formaliser ces connaissances afin d’en maximiser l’impact.

En étudiant le rôle de la diversité des cultures au niveau de la résilience climatique, l’équipe de recherche vise à fournir aux agriculteur·rice·s des stratégies fondées sur des données objectives pour affronter ces nouveaux défis et offrir une voie vers une plus grande stabilité face aux facteurs de perturbation environnementale.

 

Une parcelle de Kernza et un abri contre la pluie. Photo: Dr. Cynthia Kallenbach

 

Au cœur de la recherche se trouve la question suivante : la biodiversité peut-elle être utilisée comme un levier pour atténuer les effets des changements climatiques?

La recherche déterminera également si la diversité des cultures entraîne une augmentation de la diversité de la vie microbienne du sol et si elle améliore la stabilité et le stockage de la matière organique du sol. Si ces conditions sont observées, l’étude examinera si une plus grande diversité des cultures permet aux agriculteur·rice·s de réduire leur dépendance à l’égard des pesticides. La recherche vise aussi à voir si les fermes deviennent plus résistantes aux changements climatiques et aux conditions de précipitations plus difficiles, telles que des pluies plus abondantes au printemps et à l’automne, et des conditions de sécheresse en été.

Haricots en culture intercalaire avec du blé. Photo: Dr. Cynthia Kallenbach

Dr. Kallenbach et son équipe ont mis en place un certain nombre de parcelles d’essai sur le campus de McGill afin d’étudier ces questions. Leur étude porte sur deux facteurs : la diversité des cultures et les précipitations. Sept combinaisons de diversité des cultures et trois niveaux de précipitations seront mis à l’essai. Les précipitations seront contrôlées par des abris contre la pluie au-dessus des parcelles et par l’irrigation. Les conditions du sol et des cultures seront suivies de près tout au long de la recherche à l’aide de capteurs, de systèmes d’enregistrement des données et de diverses analyses. Il s’agit du premier essai de recherche au Canada qui met l’accent sur la diversité des légumineuses et des céréales à petits grains dans des conditions de précipitations contrôlées. En effet, la recherche sur les précipitations est remarquablement rare, en particulier dans les systèmes agricoles.

Pour combler une importante lacune dans la conception des systèmes de culture, cette recherche portera sur des combinaisons de légumineuses et de céréales à petits grains incluant le blé de printemps, le haricot sec, le seigle, le trèfle blanc et le KernzaMC (blé vivace intermédiaire). Bien que ces cultures ne soient pas courantes au Québec, cette recherche démontrera la fonctionnalité et les avantages des systèmes à base de légumineuses et de céréales. Ainsi, elle fournira aux producteur·rice·s des études de cas sur les possibilités de diversifier leur sélection de cultures et de contribuer à la diversité du paysage agricole du Québec.

En plus de ces essais sur le terrain, le Dr. Grant Clark, en collaboration avec la Dr. Kallenbach et son équipe, dirige le développement d’un modèle numérique qui simule la manière dont ces changements affectent l’ensemble du système agricole. Ce modèle numérique permettra de mieux comprendre les interactions microbiennes et le cycle des nutriments et des pesticides.

 

Pourquoi la diversité des cultures est-elle importante ?


Si nos systèmes agricoles sont si profondément affectés par les changements climatiques, c’est en partie à cause de leur fragilité. En Montérégie et plus largement au Québec, les systèmes de production agricole sont relativement simples par rapport aux écosystèmes naturels, avec une faible diversité d’espèces à la fois en surface et dans le sol. Combinée aux changements climatiques, la perte rapide de la biodiversité des agroécosystèmes représente une menace pour la santé des sols. On observe une dégradation de la matière organique, une réduction des fonctions des communautés microbiennes et une mauvaise rétention de l’eau. C’est là que la diversité des cultures agit comme une force stabilisatrice, atténuant potentiellement les effets de niveaux extrêmes de précipitations ou de sécheresse.

La diversité des cultures permet également de réduire le risque de dommages généralisés causés par les ravageurs et les maladies. Les monocultures, où une seule plante est cultivée sur de grandes superficies, sont plus sensibles aux infestations par des insectes nuisibles et aux maladies. En revanche, avec la diversité des cultures, si une culture est touchée, les autres peuvent ne pas l’être, ce qui assure une meilleure sécurité alimentaire et une plus grande stabilité pour l’agriculteur·rice.

La mise en œuvre de cultures diversifiées peut donc contribuer à préserver la santé et la fertilité des sols à long terme. Elle peut également prévenir l’appauvrissement et l’érosion des sols, améliorer le cycle des éléments nutritifs et réduire la dépendance à l’égard des pesticides et des engrais synthétiques. Les systèmes de culture diversifiés favorisent la biodiversité en fournissant des habitats et des sources de nourriture à une variété d’organismes, contribuant ainsi à la résilience des agroécosystèmes et à la conservation de la biodiversité.

 

Prélèvement d’échantillons de sol pour déterminer la teneur en pesticides. Photo: Dr. Cynthia Kallenbach

 

Perspectives des agriculteur·rice·s sur le projet de recherche


En février dernier, Régénération Canada, l’équipe de recherche de McGill et le Groupe Pro Conseil ont réuni un groupe de discussion composé d’une douzaine d’agriculteur·rice·s du sud du Québec afin de mieux comprendre leur intérêt pour le projet de recherche, leurs motivations à accroître la diversification des cultures et les obstacles qu’ils et elles affrontent.

Ce projet de recherche se distingue par son engagement à répondre aux besoins réels des agriculteur·rice·s. Grâce à des groupes de discussion, des sondages et des consultations, le projet de recherche s’assure que ses résultats sont fondés sur les expériences et les perspectives de ceux et celles qui les mettront en œuvre.

Au cours du groupe de discussion, les agriculteur·rice·s ont détaillé l’intégration de la diversité des cultures dans leurs systèmes de production grâce aux cultures de couverture, avec comme principaux objectifs l’amélioration de la fertilité des sols, la réduction du compactage et l’amélioration de la gestion de l’eau. Les participant·e·s ont constaté une amélioration de l’infiltration et de la rétention de l’eau, ce qui s’est avéré utile lors d’événements météorologiques extrêmes tels que des précipitations excessives ou la sécheresse.

Les agriculteur·rice·s ont attribué ces effets positifs à la présence de racines vivantes et ont suggéré que les plantes vivaces étaient les plus efficaces pour la gestion de l’eau. Cependant, il n’est pas toujours possible d’incorporer des plantes vivaces dans les systèmes de production, en particulier si l’exploitation n’a pas d’animaux, car les principales cultures vivaces sont des fourrages destinés à la consommation animale. Comme nombre d’agriculteur·rice·s sont motivé·e·s à sauvegarder et régénérer leurs sols, certain·e·s producteur·rice·s de grandes cultures ont choisi d’aller jusqu’à échanger des parcelles avec des fermes voisines pour intégrer le foin dans leur rotation. Les producteur·rice·s de grandes cultures s’intéressent également beaucoup au potentiel du blé vivace, tel que le KernzaMC, que la Dr. Kallenbach teste dans les parcelles expérimentales.

Bien que les cultures de couverture soient plus accessibles que les cultures vivaces dans une gamme plus large de systèmes et d’échelles de production, elles posent des défis techniques, en particulier en termes d’implantation, de gestion et de terminaison. Les agriculteur·rice·s dans le groupe de discussion ont noté qu’une résilience plus importante peut avoir des effets positifs sur la rentabilité de leur ferme, mais que le résultat n’est pas immédiat et que ces pratiques nécessitent un investissement en temps, en équipement et en capital.

Un sondage de suivi a été envoyé en janvier 2024, au cours duquel le même groupe de producteur·rice·s s’est exprimé sur leur saison de croissance de 2023. Comme indiqué au début de cet article, la saison 2023 a été incroyablement pluvieuse et humide. Parmi les conséquences que les agriculteur·rice·s ont constaté dans leurs champs, on peut citer : l’accumulation d’eau dans les champs, davantage de maladies des plantes que d’habitude, des rendements plus faibles et, dans certains cas, la perte totale de certaines cultures. Dans les sols argileux plus lourds qui ont du mal à se drainer, certain·e·s producteur·rice·s ont constaté des signes d’asphyxie des plantes, les racines étant privées de l’oxygène dont elles ont besoin en raison de la saturation d’eau dans le sol. Bien qu’un nombre d’agriculteur·rice·s souhaitent continuer à améliorer leurs pratiques et à implanter des stratégies telles que les cultures de couverture, le décompactage, le drainage et l’utilisation d’équipements mieux adaptés, des facteurs financiers entrent inévitablement en jeu.

Ces agriculteur·rice·s, ainsi que d’autres dans la région, continueront à participer à la recherche tout au long de son évolution.

 

Une chambre d’échantillonnage des gaz à effet de serre. Photo: Dr. Cynthia Kallenbach

 

Quel sera l’impact de cette recherche sur l’état de l’agriculture régénératrice au Canada?


Le projet de recherche aidera l’agriculture régénératrice à gagner du terrain au Canada, en particulier au Québec, en promouvant la diversité des cultures et en fournissant aux producteur·rice·s des études de cas, des preuves et des stratégies testées pour encourager la diversification, leur permettant de s’éloigner de la dépendance à l’égard des rotations maïs-soja que nous voyons si souvent dans l’est du Canada.

Grâce à des initiatives de mobilisation des connaissances et à un engagement actif auprès des producteur·rice·s, l’équipe de recherche tente de faire le pont entre les résultats de la recherche et les pratiques agricoles sur le terrain, et d’instaurer un climat de confiance entre les chercheur·euse·s et les producteur·rice·s. En outre, l’équipe de recherche s’engage à appliquer des stratégies efficaces de planification et de gestion de projet, afin d’assurer une transition sans faille des essais vers des sites expérimentaux à long terme. L’équipe espère ainsi attirer des chercheur·euse·s de tout le Canada et des États-Unis.

En conclusion, l’un des principaux résultats attendus de la recherche est de fournir des calendriers pratiques et des mesures claires de ce qui est nécessaire pour que les agriculteur·rice·s prennent les bonnes décisions dans le contexte des changements climatiques. Grâce à une meilleure compréhension de la diversification des cultures, les producteur·rice·s et les décideur·euse·s politiques pourront mieux gérer leurs attentes en matière de santé des sols et de réponses agronomiques aux changements imminents des conditions de précipitations.

La recherche comme celle-ci continue d’être un catalyseur clé pour un changement de paradigme dans les pratiques agricoles, favorisant la résilience, la diversité et la régénération au Québec et ailleurs.

 

La suite du projet


Alors que le projet progresse en 2024, une journée sur le terrain sera organisée cet été pour permettre aux producteur·rice·s de visiter les parcelles d’essai situées sur le campus de McGill, de partager leurs connaissances et d’apprendre de celles de l’équipe de recherche. Si vous souhaitez être tenu·e au courant de cette recherche ou si vous souhaitez vous impliquer en tant qu’agriculteur·rice, veuillez contacter Sara à sara@regenerationcanada.org.