Maintenir la biodiversité en agriculture régénératrice

Les systèmes abritant une diversité d’organismes du sol, de plantes et d’animaux sont plus résilients. Ils ont généralement une fertilité supérieure du sol et répondent mieux aux stress tels que les maladies, les extrêmes climatiques, l’activité humaine et la dégradation. Nous encourageons des pratiques comme la rotation des cultures, l’intégration de zones tampons pour les pollinisateurs, l’élimination d’intrants chimiques tels que les pesticides, et l’intégration du bétail aux cultures.


 

Rébeka Frazer-Chiasson (en orange) avec les équipes de la Ferme Terre Partagée et de Régénération Canada lors de l’événement Récits de Régénération tenu à l’été de 2023. Crédit photo : Hamaka Creativity Lab

La biodiversité désigne l’incroyable diversité d’organismes qui foisonnent dans les écosystèmes équilibrés. C’est le cœur battant des agroécosystèmes, le moteur même de la régénération !

Les fermes sont, dans leur essence, des écosystèmes gérés où les plantes, le sol et les animaux sont tissés ensemble de manière complexe. Quand nos techniques et systèmes agricoles supportent, ou mieux encore, régénèrent la faune du sol, ils augmentent la biodiversité de nos paysages ; ce faisant, ils contribuent à leur capacité d’offrir des services écosystémiques tels que le recyclage des nutriments et la pollinisation.

À l’été de 2023, l’équipe de Régénération Canada a visité la Ferme Terre Partagée (FTP) de Rébeka Frazer-Chiasson et ses collègues. Il s’agit d’une coopérative agricole située à Rogersville au Nouveau-Brunswick et spécialisée dans la production de légumes et de bétail de pâturage. Le nom “Ferme Terre Partagée” reflète son engagement en faveur du partage de la terre entre les générations, les espèces animales et végétales et les êtres humains. Chez FTP, maintenir la biodiversité est un volet crucial du plan de gestion de la ferme.

 

L’importance de la biodiversité agricole


La plupart de la biodiversité se trouve dans le sol. Selon la chercheuse Elaine Ingham, une cuillerée à thé de sol contient jusqu’à un milliard de cellules bactériennes — l’équivalent en biomasse de deux vaches par acre ! Cette stupéfiante diversité dynamise la vie en surface par le recyclage des nutriments, le contrôle des ravageurs et la construction d’agroécosystèmes résilients et fiables.

Recyclage des nutriments et santé du sol :

La biodiversité végétale joue un rôle capital dans le recyclage des nutriments, contribuant ainsi à un riche substrat organique. Par exemple, l’intégration de plantes avec des profondeurs et des types d’enracinement différents facilite la dispersion des nutriments dans le profil pédologique. Ces différentes structures et profondeurs favorisent également l’aération et réduisent la compaction et l’érosion. De plus, la richesse spécifique — soit, le nombre d’espèces végétales dans un espace déterminé — est corrélée positivement avec la teneur en carbone organique et en azote du sol. Ces nutriments stimulent l’activité microbienne, qui à son tour contribue au recyclage des nutriments et à la décomposition de la matière organique. Au fil du temps, ce système sert à rendre les fermes moins dépendantes des engrais et autres intrants synthétiques.

Kevin Arsenau de la Ferme Terre Partagée dépiste les insectes dans une culture de pommes de terre. Crédit photo : Hamaka Creativity Lab

Contrôle des ravageurs et des maladies :

Dans les systèmes agricoles biodivers, les insectes bénéfiques sont attirés par la variété d’espèces végétales en présence, dont le sarrasin et le trèfle incarnat. En contribuant à la lutte contre les ravageurs, ces insectes rendent moins nécessaire l’application de pesticides synthétiques. En outre, la cohabitation de différents organismes dans le sol tend à réduire les problèmes de maladies, d’insectes, et de nématodes. La prédation et la concurrence pour la nourriture font en sorte que les populations de ces ravageurs n’atteignent que rarement des niveaux dommageables.

Résilience aux changements climatiques :

La biodiversité sert à pallier aux incertitudes d’un climat en mutation. Les fermes dont le système comporte une diversité de cultures et d’espèces végétales s’adaptent mieux à des conditions climatiques variables. Par exemple, les tomates et les haricots à rames donnent un bon rendement lors de la sécheresse, tandis que les épinards et le céleri exigent un sol humide. Cette diversification protège les agriculteur·rice·s contre l’imprévisibilité des défis liés au climat.

Diversité alimentaire :

Un système alimentaire sécurisé et durable passe inéluctablement par la protection de la diversité génétique. Pourtant, la mondialisation, ainsi que la priorisation de variétés dont la rentabilité et la transportabilité conviennent à la culture intensive, ont fait disparaître plus de 75 % de la biodiversité alimentaire du monde depuis un siècle. Ce n’est qu’une petite partie du patrimoine génétique du Canada qui demeure disponible aux agriculteur·rice·s. Afin de récupérer la résilience agricole, il faut préserver ce patrimoine en redécouvrant des variétés adaptées aux conditions régionales. Les communautés autochtones et les conservateur·rice·s de semences possèdent des connaissances essentielles pour la sauvegarde de ces variétés et jouent donc un rôle crucial dans la préservation de l’agrobiodiversité.

Comme d’autres agriculteur·rice·s, Rébeka et son équipe s’efforcent à intégrer des variétés ancestrales, à conserver des semences et à produire des légumes, comme la fleur d’ail et les topinambours, qui ne se trouvent habituellement pas en supermarché.

 

Cette bande installée le long d’un champ cultivé comprend une variété d’herbes et de fleurs qui offrent un habitat pour les pollinisateurs et autres insectes bénéfiques, contribuant ainsi à la lutte antiparasitaire. Crédit photo : Xerces Society

 

Les indicateurs de l’agrobiodiversité


Pour prendre la mesure de la santé et la résilience des agroécosystèmes, il faut évaluer la biodiversité qu’ils recèlent. Les indicateurs utilisés à cette fin par les producteur·rice·s et les scientifiques comprennent :

● La diversité spécifique, ou le nombre et la variété d’espèces végétales et animales, y compris les espèces indigènes et menacées. Les populations d’oiseaux et de reptiles sont de précieux indicateurs de l’agrobiodiversité.

● La biodiversité du sol, ou le nombre de microorganismes et d’animaux qui y vivent.

● La diversité d’habitats tels que les haies brise-vent, les milieux humides et les boisés, qui offrent de l’abri et des ressources vitales pour plusieurs espèces.

Chez Ferme Terre Partagée, favoriser la biodiversité s’est révélé très bénéfique. Parmi les avantages sont le contrôle naturel des insectes ; une meilleure pollinisation des légumes, avec le potentiel de rendements plus élevés ; un approvisionnement constant en fumier produit par la ferme, ce qui permet lésiner sur les engrais synthétiques ; et des flux de rentrées diversifiés, ce qui rend la ferme plus résiliente aux stress financiers.

Pour Rébeka, la courbe d’apprentissage a été fascinante, avec de nouvelles leçons à tirer à chaque année. Avec le passage des générations, la terre a vu beaucoup de changements dans les pratiques de gestion et de production, passant de la prédominance du bétail à la production de céréales, de fraises et de choux de Bruxelles, et plus récemment au maraîchage biologique diversifié.

 

Cette couverture multispécifique dans l’est de l’Oregon regorge d’une grande diversité de plantes à fleurs. Crédit photo: Sustainable Agriculture Research and Education. Photo par Garrett Duyck, USDA NRCS

 

À quoi ressemble la promotion de la biodiversité dans nos fermes et nos jardins ?


La santé et la résilience des écosystèmes sont tributaires de la biodiversité qui s’y trouve. Voici quelques conseils simples pour faire accroître la biodiversité dans les jardins et les champs :

● Diversification des systèmes de culture et cultures intercalaires : Cultiver plusieurs cultures en association favorise la résilience aux aléas climatiques. Les cultures intercalaires, quant à elles, permettent de combattre les mauvaises herbes, de contrôler les ravageurs et d’améliorer la santé du sol.

En plus du foin et des céréales, la Ferme Terre Partagée produit 40 légumes différents. La mise en marché passe essentiellement par le modèle des abonnements (la ferme a 125–250 membres), et la coopérative fabrique aussi quelques produits transformés comme la sauce piquante.

 

La Ferme Terre Partagée cultive une large gamme de légumes et les vend par abonnement. Source: Ferme Terre Partagée

 

● Couvertures multispécifiques : Les cultures de couverture servent habituellement à améliorer la fertilité du sol et à en augmenter la matière organique et la biodiversité. Une couverture diversifiée nourrit le microbiome du sol, contribue à la productivité et la résilience des cultures associées et peut aider à résoudre de multiples problèmes.

La Ferme Terre Partagée destine chaque culture de couverture à sa propre fin : le sarrasin pour supprimer les mauvaises herbes, le seigle et le blé d’automne pour servir de paillis pendant la saison froide, le seigle aussi pour la récolte de paille.

● Bandes riveraines : Installés le long des cours d’eau, les arbres, les arbustes et les plantes herbacées protègent les écosystèmes riverains. Ces espèces offrent de l’habitat pour la vie aquatique, filtrent les ruissellements et stabilisent les berges. De plus, les bandes riveraines augmentent la biodiversité et améliorent la qualité de l’eau.

● Bandes pour pollinisateurs : Elles donnent de la nourriture et de l’habitat pour les pollinisateurs et les autres organismes bénéfiques. Elles peuvent être aménagées le long des champs ou incorporées dans la rotation.

FTP sème un mélange de fleurs indigènes pour accommoder les pollinisateurs tout au long de la saison. Ce mélange embellit la ferme tout en jouant le rôle crucial d’optimiser la pollinisation pour les cultures légumières.

Intégrer le bétail : L’inclusion stratégique d’animaux tels que les poules, les vaches, les cochons ou les moutons dans le système agricole permet d’instaurer une association holistique et symbiotique qui profite aux animaux comme aux cultures.

La Ferme Terre Partagée élève plusieurs espèces animales, dont le poulet de pâturage, les bovins de boucherie et le porc. De plus, des producteur·rice·s membres associé·e·s à la ferme ont comme spécialité la vente d’agneau, de bœuf et de porc. Non seulement ce choix stratégique d’animaux représente-t-il une source de viande de haute qualité, mais il contribue aussi à la biodiversité et la résilience de la ferme.

● Création d’habitat : En aménageant des habitats divers tels que les haies brise-vent, les parcelles de fleurs, les nichoirs pour oiseaux, chauve-souris et abeilles solitaires, et les étangs, on peut offrir de la nourriture et de l’abri à une large gamme d’organismes et ainsi favoriser la biodiversité.

Par exemple, La Ferme Terre Partagée essaie de contrôler la population de maringouins en installant des nichoirs pour attirer les hirondelles.

 

Un engagement en faveur de la biodiversité va plus loin que l’aménagement de paysages résilients ; il doit aussi aider à façonner un futur où l’agriculture et le jardinage sont conçus pour favoriser des écosystèmes dynamiques et adaptables. Pour les producteur·rice·s comme Rébeka et l’équipe de la Ferme Terre Partagée, l’agriculture déborde les champs pour rayonner dans la communauté et enrichir nos tables avec une panoplie de produits nutritifs.

Chaque choix, de la diversification des cultures à l’aménagement de bandes pour pollinisateurs, est un investissement dans l’avenir de la planète et la souveraineté alimentaire. Soyons tou·te·s les artisan·e·s de cette transformation, qui commence dans nos cours, nos fermes et nos communautés. Ensemble, nous pouvons cultiver un avenir où l’abondance et la régénération vont de pair !

 


Pour en savoir plus sur les pratiques régénératrices en place à la Ferme Terre Partagée, regardez l’enregistrement du webinaire « Régénérer la planète » et écoutez l’épisode de balado avec Rébeka Frazer-Chiasson.

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Si vous avez des questions ou des commentaires sur les sujets abordés dans ce blog, veuillez contacter notre Chargée de l’éducation et de la recherche à l’adresse suivante : paige@régénérationcanada.org. Si vous avez des questions relatives à la campagne Récits de Régénération, veuillez contacter notre Chargée de campagne à l’adresse suivante : alieska@régénérationcanada.org.