Minimiser la perturbation du sol

Le labour et le travail du sol perturbent les fonctions essentielles des communautés microbiennes et fauniques du sol, qui jouent un rôle important dans la constitution de cet écosystème. La gestion régénératrice des terres encourage des pratiques telles que le semis direct, le travail réduit du sol et l’intégration de plantes vivaces afin de perturber le sol le moins possible. La réduction du travail du sol permet de minimiser l’érosion du sol, la demande d’intrants chimiques et de favoriser des systèmes agricoles plus résilients.


 

Le travail du sol est depuis longtemps considéré comme une étape essentielle de la préparation des champs, même une pratique emblématique de l’agriculture. Mais cette technique conventionnelle est de plus en plus mise en doute par des études et par le succès du semis direct, une méthode qui prône la perturbation minimale du sol.

Pendant la tournée Récits de Régénération à l’été de 2023, Régénération Canada a visité Blake Vince à la ferme céréalière Bla-Kar Farms dans le sud-ouest de l’Ontario. Blake et sa femme Karen représentent la cinquième génération à cultiver cette terre, caractérisée par des sols lourds et argileux et une topographie douce. Leur ferme, qui pratique le semis direct depuis 1983, illustre parfaitement l’efficacité de la perturbation minimale du sol. L’engagement de Blake en faveur des sols en santé est bien connu grâce à sa promotion du projet Soil Your Undies, qui démontre la différence frappante entre l’activité microbienne dans les sols cultivés en semis direct à long terme et les sols travaillés conventionnellement.

 

Qu’est-ce que la perturbation du sol ?


La perturbation du sol se définit comme toute activité qui nuit à sa qualité, et comprend les perturbations biologiques, chimiques et physiques :

La perturbation biologique est le résultat du surpâturage, qui a pour effet d’inhiber la croissance et la photosynthèse des plantes et donc de réduire la quantité de dioxyde de carbone (CO2) qu’elles peuvent absorber de l’atmosphère ainsi que leur capacité de prévenir l’érosion.

La perturbation chimique se présente quand les engrais et les pesticides sont appliqués à outrance, ce qui peut nuire au microbiote du sol, endommager sa structure, diminuer la croissance des plantes et entraîner la contamination de l’eau.

La perturbation physique, le sujet de cet article, se produit quand le sol est travaillé, labouré, ou compacté par le piétinement excessif du bétail ou par l’utilisation des machines. Ces interventions brisent les agrégats du sol et réduisent l’espace poreux disponible pour le passage de l’air et de l’eau, ce qui se traduit par un sol moins favorable aux organismes qui l’habitent, plus vulnérable à l’érosion, et moins capable de retenir l’eau.

À la ferme de Blake, ces perturbations sont réduites au minimum pour permettre aux microorganismes de se multiplier. Des vers de terre aux microorganismes, c’est de la vie en abondance qui se trouve dans ses champs de maïs.

 

Le sol devrait idéalement être composé de 45 % de contenu minéral, 25 % d’eau, 25 % d’air et 5 % de matière organique. La perturbation du sol peut nuire à sa santé si elle change cet équilibre en diminuant l’espace interstitiel.

 

La structure du sol : un équilibre délicat


Sous nos pieds se trouve un royaume dynamique—le sol—sans lequel la vie n’existerait pas. Voici une matrice poreuse et spongieuse qui contient des minerais, des composés organiques, et une foule de microorganismes. Cette architecture lui permet d’absorber et de retenir l’eau, les nutriments et l’air pour la bonne croissance des plantes. De minuscules pores permettent le passage d’oxygène, de l’humidité et des racines. Un sol bien structuré est composé d’agrégats qui tiennent ensemble grâce aux exsudats provenant des racines. Le tout constitue un riche milieu souterrain qui héberge toute une gamme d’organismes.

 

La désagrégation du sol occasionne des changements à sa surface et au ruissellement de l’eau. Adapté de : Building Soils for Better Crops (SARE)

 

Les impacts de la perturbation du sol sur sa santé


Les conséquences de la perturbation du sol dépassent largement les effets immédiats sur sa structure. Au fil du temps, le travail du sol entraîne une cascade d’effets néfastes :

Perte de matière organique : En brisant les agrégats, le travail du sol accélère la décomposition de la matière organique, qui s’en trouve exposé à la décomposition rapide par les microbes. La fertilité du sol est amoindrie, tout comme sa capacité de retenir l’eau. Plus le sol est perturbé, et plus le risque de décomposition de la matière organique s’accroît.

Érosion : Le labour détruit également la porosité du sol, ce qui le laisse vulnérable à l’érosion. Accélérée par la désagrégation du sol et la perte de la couverture végétale, l’érosion emporte la terre végétale normalement tenue dans l’horizon A, la strate la plus fertile, en laissant derrière elle un paysage appauvri. Cette terre végétale est une précieuse ressource dont la formation se déroule sur des décennies ; de là l’importance capitale de la préserver afin de maintenir la productivité agricole et l’intégrité environnementale. C’est particulièrement pertinent dans les sols argileux lourds, dont les fines particules sont plus susceptibles à l’érosion que ceux des sols sableux. L’érosion diminue la productivité agricole et occasionne l’envasement des cours d’eau.

Perte de carbone : Quand la charrue fait gonfler le sol, elle accélère la minéralisation du carbone organique. Ce processus contribue aux changements climatiques en libérant le CO2 dans l’atmosphère. Plus la méthode de travail du sol est intensive, et plus importante sera la perte de carbone.

Compaction : Le malaxage continuel du sol entraîne sa compaction, la compression de ses particules. Par le fait même, il réduit l’infiltration de l’air et de l’eau, inhibe la croissance des racines, empêche l’absorption de nutriments et augmente le risque d’érosion.

Ajouts d’intrants chimiques : La perte de matière organique suite au travail du sol rend souvent nécessaire l’ajout excessif d’intrants chimiques afin d’en maintenir la fertilité et la productivité.

 

Les impacts invisibles sur la biologie du sol

Les mycorhizes entretiennent une relation mutualiste avec les plantes en prolongeant l’action de leurs racines dans le sol. Crédit photo : Natural Resources Conservation Service. Source: Oregon State University Extension


L’impact de la perturbation s’étend au royaume invisible des microorganismes du sol. Ce délicat réseau trophique est brisé et les communautés d’organismes bénéfiques, telles que les bactéries, les champignons, les protozoaires et les nématodes, sont détruites. Tous ces microorganismes jouent un rôle essentiel dans le maintien de la santé du sol et la croissance des plantes. Par exemple, certaines bactéries convertissent l’azote gazeux de l’atmosphère en une forme accessible aux plantes, tandis que d’autres organismes peuvent dissoudre les minerais. La perturbation du sol offre un festin temporaire aux microbes mais il ne faut pas se tromper : leur nourriture finit par s’épuiser et leurs populations dépérissent.

Les mycorhizes en particulier sont lourdement affectées par le travail du sol. Ces champignons symbiotiques forment de complexes réseaux de filaments souterrains qui établissent des relations mutuellement bénéfiques avec les racines des plantes cultivées. En puisant dans le sol des nutriments autrement inaccessibles aux plantes, ils accélèrent la croissance végétale, et ont aussi pour rôle crucial d’améliorer la structure du sol en collant ensemble les particules des agrégats. Le travail du sol brise ces réseaux fongiques et fait pencher la balance en faveur des organismes nuisibles, finissant par diminuer le recyclage des nutriments et par compromettre la résilience de l’écosystème.

L’absence d’une robuste communauté microbienne interrompt des fonctions cruciales de l’écosystème telles que l’agrégation du sol, la minéralisation et la rétention de l’eau. Privé des services de décomposition de la matière organique et d’agrégation des particules offerts par ces organismes, le sol est exposé aux effets néfastes de la pluie, du vent et du soleil.

 

Des vers de terre dans un échantillon de sol pris dans les champs de maïs de Bla-Kar Farms. Crédit photo : Alieska Robles

 

Alors, pourquoi travaille-t-on le sol ?


Quand la famille de Blake s’est lancée en agriculture dans le sud-ouest ontarien, le travail des champs était la seule pratique efficace et connue de tou·te·s les agriculteur·rice·s pour détruire les mauvaises herbes, briser la croûte superficielle, favoriser l’infiltration de l’eau, accélérer le séchage des champs au printemps, créer un terreau meuble, aplanir la terre et incorporer les engrais verts et les résidus au sol. Mais les gens de l’époque n’avaient pas encore compris que ces avantages, souvent de courte durée, sont réduits au néant à la longue par les effets néfastes. À mesure de l’évolution de la recherche et de l’équipement, nous avons élargi notre compréhension des multiples dangers que comporte la perturbation des sols. De nos jours, il y a maintes alternatives régénératrices qui conviennent aux différents systèmes agricoles.

Partout à la campagne, [on voit des sols] usés, diminués, épuisés, presque morts.
Mais il y a du réconfort : ces sols ont encore du potentiel et leur productivité peut être restaurée
à des niveaux élevés, pourvu que vous fassiez quelques gestes simples.

—C.W. BURKETT, 1907


Réduire la perturbation du sol avec les pratiques régénératrices

La stabilité du sol dans les champs cultivés par Blake en semis direct comparée à celle d’un sol travaillé. Les adhésifs biotiques dans la matière organique préviennent la désagrégation en présence de l’eau. Crédit photo : Alieska Robles


Celles et ceux qui cultivent la terre reconnaissent désormais les impacts néfastes de la perturbation du sol et adoptent de plus en plus des pratiques conçues pour l’éviter, y compris :

Le semis direct : Une méthode qui élimine le travail du sol, préserve sa structure, et favorise une teneur plus élevée en matière organique. Les populations de vers de terre augmentent en conséquence, et la décomposition des résidus et l’infiltration de l’eau s’en trouvent facilitées.

Le travail minimum : Une technique qui ne perturbe le sol que le minimum nécessaire pour semer.

Les cultures de couverture, les paillis, et les couvertures végétales : Des techniques qui font alterner les cultures commerciales et les couvertures dans le but de supprimer les mauvaises herbes, nourrir le sol et prévenir l’érosion en toute saison.

Le rouleau-crêpeur : Un outil qui tue les cultures de couverture, le moment venu, en blessant les plantes sans couper les tiges.

La faucheuse à fléaux : Une machine qui déchiquette la matière végétale avec ces lames rotatives ; elle contribue à lutter contre les mauvaises herbes et à maintenir la structure du sol.

Les vivaces : Des plantes qui, avec la couverture végétale permanente qu’elles offrent, réduirent la nécessité du labour.

La gestion prudente du bétail : Le surpâturage peut briser la structure du sol et le rendre vulnérable à l’érosion. La bonne gestion réduit au maximum cette perturbation en planifiant stratégiquement le pâturage et en excluant les animaux par temps pluvieux.

 

Chez Bla-Kar Farms, ces pratiques régénératrices ont grandement contribué à l’amélioration de la santé et la structure du sol et à la prévention de l’érosion. Le semis direct en particulier a fait ses preuves, tandis que des mélanges diversifiés de cultures de couverture, comprenant le maïs grain, le soja, et le blé d’hiver, offrent d’autres avantages pour la santé des sols et le recyclage des nutriments.

Blake réserve aussi une bonne partie de sa terre pour les pâtures, qui peuvent atteindre trois pieds de hauteur et qui comptent diverses espèces de plantes et d’insectes en interaction constante dans le sol et au-dessus. Il prévoit offrir des visites guidées, non seulement pour mettre en avant la vie abondante dans ses champs, mais aussi pour expliquer les innombrables services écologiques que la terre peut offrir si on la laisse se reposer entre deux périodes d’exploitation. Ces résultats se font sentir dans la qualité des plantes et dans celle des animaux qui les mangent.

 

Blake dans un de ses champs laissés en pâturage pendant trois ans pour améliorer la qualité du sol. Crédit photo : Alieska Robles

 

Le sol vivant et en santé est la base de tout agroécosystème florissant. Sans un microbiome vigoureux, l’ensemble de l’écosystème souffre—les cultures dépérissent, la résistance à la sécheresse diminue et la productivité des sols devient de plus en plus tributaire des engrais chimiques et de l’irrigation. En réduisant au maximum la perturbation des sols grâce au semis direct et au travail minimum, nous pouvons protéger cette précieuse ressource et récolter les fruits des sols en meilleure santé : des rendements accrus et un système alimentaire plus résilient.

 


Pour en savoir plus sur les pratiques régénératrices en place à Bla-Kar Farms, écoutez l’épisode de balado et regardez l’entrevue vidéo avec Blake Vince.

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