Engagement face à la justice sociale, souveraineté alimentaire et viabilité économique

La gestion régénératrice des terres prône des conditions justes pour toutes les personnes impliquées: agriculteur·trice·s, ouvrier·e·s agricoles, transformateur·trice·s et consommateur·trice·s, pour n’en citer que quelques-unes. Afin de prévenir les disparités extrêmes, la discrimination et l’inégalité sociale, un système alimentaire régénérateur préconise et crée un espace pour que toutes les voix soient entendues et participent à la prise de décision à tous les niveaux de gouvernement.


 

Une foule d’histoires se faufilent derrière les emballages d’aliments bien ordonnés qui se voient sur les tablettes des supermarchés. Très pertinemment, il y a l’histoire des iniquités systémiques qui affectent non seulement la terre et les agriculteur·rice·s mais aussi la survie des travailleur·euse·s de la chaine alimentaire et des communautés marginalisées privées de nourriture accessible, nutritive et culturellement appropriée. Afin de réparer ces torts, atteindre la justice alimentaire et garantir l’accès universel aux aliments nutritifs, il faut constater les disparités raciales, sociales et économiques ancrées dans notre système alimentaire. L’agriculture régénératrice joue un rôle crucial dans l’avancement de la justice alimentaire en mettant l’accent sur le bien-être écologique et social.

La ferme communautaire Alimentation Juste, un projet incubateur situé sur 150 acres dans la Ceinture de verdure d’Ottawa, se trouve parmi les organisations qui défendent la justice alimentaire au Canada. Par le biais de son Programme de démarrage d’une exploitation agricole, la ferme aide les agriculteur·rice·s débutant·e·s à accéder à la propriété ainsi qu’à obtenir des ressources et de la formation, favorisant un avenir où la nourriture est source de pouvoir, d’appartenance culturelle et de bien-être.

Pendant la tournée Récits de Régénération en 2023, l’équipe de Régénération Canada a visité deux fermes, Chi Garden et Urban Fresh Produce, qui ont bénéficié de l’assistance du Programme de démarrage. Soyez des nôtres lors de cette exploration de l’histoire de ces fermes et, plus généralement, des défis de la justice alimentaire au Canada.

 

Li Bo et Sun Shan, rencontrés chez Alimentation Juste lors de l’événement Récits de Régénération en 2023. Crédit photo : Patricia Ballamingie

 

Sun Shan, agricultrice urbaine et éducatrice née à Beijing, a établi Chi Garden avec son conjoint Li Bo en 2015. La ferme est spécialisée en herbes et légumes asiatiques cultivés en régie biologique, ainsi que dans la production de kimchi et autres produits fermentés. Le couple exploite 1,5 acres en semis direct. Sun Shan partage avec les client·e·s des marchés locaux la richesse de son savoir sur les qualités médicinales de la nourriture, s’entretenant de l’importance d’intégrer des légumes moins connus à nos régimes alimentaires. Elle est renommée pour sa « salade de la diversité », reflet de sa passion pour la diversité agricole, qui met en vedette une dizaine de variétés de légumes verts. Sun Shan insiste sur l’importance de la conservation des semences et cultive également des plantes sauvages, faisant ainsi preuve de son engagement en faveur de la biodiversité.

Un autre objectif de l’agricultrice est de cultiver un sentiment d’appartenance chez les immigrant·e·s tout en contribuant à la souveraineté alimentaire de la collectivité. Le fait de produire des légumes dérivés de son héritage lui donne un sentiment de pouvoir et d’autonomie. Chi Garden est l’illustration d’un modèle agricole qui offre aux immigrant·e·s comme Sun Shan la possibilité de s’implanter durablement au Canada, tout en préservant leur patrimoine et en promouvant la souveraineté alimentaire.

 

Chadwick Lewis discute avec les participant·e·s lors de la tournée Récits de Régénération dans une serre d’Alimentation Juste en 2023. Crédit photo : Patricia Ballamingie

 

Arrivé au Canada de l’île caribéenne de Sainte-Lucie, où il a commencé sa carrière agricole en produisant plus de 25 cultures, Chadwick Lewis exploite dorénavant l’entreprise Urban Fresh Produce.

Après s’être inscrit au programme d’horticulture d’Algonquin College, Chadwick fait l’heureuse découverte d’Alimentation Juste, où il réussit à jumeler l’éducation formelle avec sa passion pour la production alimentaire. Il s’affaire actuellement à améliorer le sol et à établir un écosystème équilibré dans lequel les mauvaises herbes n’ont pas de prise. L’agriculture est pour lui une vocation qui doit nourrir non seulement le corps mais aussi l’âme.

Le Programme de démarrage d’une exploitation agricole d’Alimentation Juste a été déterminant pour ces deux fermes et pour d’autres jeunes agriculteur·rice·s de la région d’Ottawa. Il permet aux participant·e·s de mettre leurs idées à l’épreuve, d’acquérir des compétences et d’obtenir la certification biologique, contribuant ainsi à l’approvisionnement local en nourriture et à la promotion de pratiques agricoles durables. En accueillant des gens de divers horizons — non-agriculteur·rice·s, personnes à la recherche d’une nouvelle carrière, néo-Canadien·ne·s, agriculteur·rice·s chevronné·e·s qui repartent à neuf — le programme met un fort accent sur la diversité.

 

Le rôle de l’agriculture régénératrice dans la justice alimentaire


L’agriculture régénératrice s’harmonise très bien avec les objectifs de la justice alimentaire en ceci qu’elle met une priorité sur le bien-être et la dignité de toutes les personnes participant au système alimentaire. Parmi ses revendications sont la rémunération équitable, les conditions de travail sécuritaires et l’inclusion de tout le monde, allant des travailleur·euse·s migrant·e·s aux communautés autochtones. En redistribuant le pouvoir et en favorisant l’inclusivité, l’agriculture régénératrice vise à cultiver un système alimentaire où tout le monde peut participer et influencer la production, la transformation et la distribution de la nourriture.

 

Barrières à la justice alimentaire


La justice alimentaire englobe une gamme de considérations pertinentes à l’accès à la nourriture. Tandis que l’objectif de la sécurité alimentaire est d’assurer que tout le monde peut manger à sa faim, la souveraineté alimentaire priorise le droit des collectivités à contrôler leurs systèmes alimentaires de manière culturellement, socialement et écologiquement appropriée. La justice alimentaire va plus loin encore pour intégrer la notion de l’équité : elle préconise le démantèlement des barrières systémiques pour que tout le monde ait accès à la terre, la nourriture et un emploi digne.

 

Inégalité raciale

L’inégalité raciale constitue l’une des barrières les plus flagrantes. Quand les communautés marginalisées sont empêchées d’accéder à la propriété, d’être rémunérées équitablement ou d’obtenir un poste sans discrimination, les cycles de la pauvreté et de dépossession son perpétués. Comme l’explique Leticia Ama Deawuo, Directrice Générale de Sème l’avenir, la justice alimentaire ne saurait être séparée de l’injustice raciale dans un contexte où la sécurité alimentaire du Canada dépend du travail mal rémunéré de la main-d’oeuvre migrante, surtout des personnes de couleur, qui assurent l’approvisionnement en aliments de ce pays tout en endurant des conditions injustes. La pandémie de la COVID-19 a mis en évidence cette sinistre réalité, qui touche démesurément la main-d’oeuvre migrante. En outre, le racisme systémique y est pour beaucoup dans les taux alarmants d’insécurité alimentaire enregistrés parmi les Canadien·ne·s noir·e·s, qui sont 3,5 fois plus susceptibles de trouver les prix de la nourriture inabordables.

L’atteinte d’une véritable justice alimentaire passe inéluctablement par la reconnaissance et le démantèlement de ces barrières et par l’accès équitable aux aliments nutritifs et culturellement appropriés.

 

Des travailleur·euse·s migrant·e·s dans un champ de fraises. Crédit photo : Mark Miller/Getty Images. Source: Maclean’s

 

Souveraineté alimentaire autochtone

Au Canada, la souveraineté alimentaire autochtone est un pilier fondamental de la résilience face aux injustices historiques et aux inégalités persistantes. Cette forme de souveraineté équivaut au droit des peuples autochtones d’obtenir des aliments culturellement appropriés et produits de façon durable. Toutefois, la dépossession coloniale des terres ancestrales a gravement érodé le contrôle des communautés autochtones sur leurs systèmes alimentaires, conduisant ainsi à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire. La dépendance envers les aliments non-traditionnels a exacerbé plusieurs problèmes de santé, qui sont davantage aggravés par l’interruption des pratiques de subsistance traditionnelles et de la transmission intergénérationnelle des connaissances. Il devient donc indispensable de récupérer ces pratiques et d’en établir les liens avec les grands mouvements pour la justice alimentaire, cela afin de protéger le bien-être, le patrimoine culturel et l’autodétermination des peuples autochtones.

 

Accès à la terre

Quiconque cherche à atteindre la justice alimentaire se trouve inévitablement face aux questions suivantes : Qui à accès à l’agriculture? Qui peut influencer le paysage alimentaire? Au Canada, les barrières à l’accès — flambée des prix d’achat et des loyers, pressions immobilières — demeurent élevées. Les jeunes, dont les effectifs en agriculture ont baissé de plus de 70 % depuis trois décennies, sont particulièrement affecté·e·s. Avec l’agrandissement et la consolidation des terres agricoles, la hausse de leur valeur les met hors de la portée du plus grand nombre, accentuant de ce fait l’inégalité foncière. De plus, cette situation laisse planer le doute sur la pérennité de l’agriculture.

Pour rendre l’agriculture plus accessible, plusieurs personnes explorent des pistes alternatives, comme les coopératives, le jumelage et les espaces agricoles partagés tels que la ferme communautaire Alimentation Juste. Néanmoins, l’inaccessibilité croissante de la terre compromet le principe démocratique selon lequel elle doit être distribuée équitablement. Il devient donc crucial de résoudre cette iniquité afin de créer un système alimentaire juste et durable dans lequel les agriculteur·rice·s de tous horizons et générations auront voix au chapitre.

 

Bâtir un système alimentaire plus juste passe par une compréhension collective des besoins de celles et ceux qui nous nourrissent ainsi que du pouvoir qu’ont les collectivités de créer leur propres systèmes alimentaires. Nous sommes appelé·e·s à participer activement dans la création d’un futur plus équitable et nourrissant en s’engageant en faveur des pratiques d’emploi équitables, de l’accès à la terre, de l’autodétermination collective et de la connexion culturelle que la nourriture nous facilite. Cheminer ensemble nous permettra de créer un système alimentaire plus juste et régénérateur dans lequel toute personne ou communauté pourra participer sur un pied d’égalité.

 


Pour en savoir plus sur les pratiques régénératrices en place à la ferme communautaire Alimentation Juste, regardez la capsule vidéo sur la ferme, écoutez l’épisode de balado avec Sun Shan de Chi Garden et Chadwick Lewis de Urban Fresh Produce, et regardez l’enregistrement du webinaire « Régénérer nos racines » avec Sun Shan.

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